PARIS
Les lecteurs du Journal des Arts l’ont vérifié récemment, ne serait-ce qu’à l’occasion des Journées du patrimoine : la Bibliothèque nationale de France (BNF) vient de rouvrir au public – le plus large possible – le « quadrilatère Richelieu », autrement dit l’espace, rive droite, à quoi se limitait, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’ancienne « BN ».
Le programme inauguré dans les années 1990 par l’ouverture du site dit « Tolbiac », sur la rive gauche, est ainsi parachevé. Cela aura pris plus de trente années, mais le résultat est là. Quand on compare la BNF à ses alter ego occidentaux, comme la British Library à Londres ou la Library of Congress à Washington, on peut dire que la France tient son rang, dans une conjoncture mondiale marquée par une baisse tendancielle – si ce n’est structurelle – de la fréquentation des grandes bibliothèques de patrimoine à l’heure de la numérisation. L’inauguration du site dit « Richelieu » couronne paradoxalement cette entreprise unique dans l’histoire de ce pays en transformant l’étonnante « salle Ovale » 1900 de l’architecte Jean-Louis Pascal, jadis réservée à la consultation des périodiques – aujourd’hui massivement numérisés –, en salle de lecture publique ouvrant à tous, gratuitement et sans limite d’âge (enfants bienvenus…), l’accès direct à plus de vingt mille volumes.
Mais ce dont il va être question ici ne se situe pas sur ce terrain. Il s’agira bien, là aussi, d’une ouverture au public, mais non d’une bibliothèque : celle d’un espace muséal d’un genre bien particulier. Particulier par son destin, particulier par l’esprit de ses collections, particulier par la place qu’y occupe l’architecture. Bref : une triple surprise pour le visiteur.
La première est toute symbolique – c’est donc la plus importante. Le visiteur standard d’aujourd’hui va découvrir que la Bibliothèque nationale, qui fut d’abord bibliothèque royale, ne s’est jamais limitée à une collection de manuscrits et d’imprimés. Elle a, dès le XVIe siècle (Cabinet du roi), accueilli monnaies, médailles et « antiques » – autrement dit divers objets qu’en d’autres lieux on s’attendrait à découvrir dans les vitrines vouées à l’archéologie. À partir du XIXe siècle, elle s’est ouverte à la photographie – dont elle est aujourd’hui la plus grande collectionneuse du pays –, au disque et à tous les supports sonores et audiovisuels. Plus largement encore, ses collections se sont enrichies de millions de livres et livrets entretenant un rapport étroit avec diverses formes d’art, tels les manuscrits enluminés ou les partitions du département de la Musique et tous les documents conservés sous le vocable des « estampes » ou des « arts du spectacle ».
Et voilà pourquoi, en entrant sur le site Richelieu non comme lecteur mais comme visiteur, on pourra découvrir une demi-douzaine de salles d’exposition, permanente ou temporaire, et plusieurs chefs-d’œuvre ici d’orfèvrerie (le trésor de Berthouville), là de glyptique (le Grand Camée de France), là encore d’art de l’ivoire (échiquier de Charlemagne), sans oublier une superbe collection de vases grecs.
Au musée du site Richelieu ne manque même pas le supplément d’âme, ou de jouissance esthétique, que peut apporter aujourd’hui, dans les établissements les plus remarquables, une qualité architecturale harmonique – sinon en harmonie – avec les collections présentées. Le public peut, au reste, se livrer à cet exercice en partie double s’il compare entre elles les deux galeries baroques superposées, la Mazarin et la Mansart, exemple unique en France de ce type de composition, mais aussi entre eux les deux escaliers dressés de part et d’autre du jardin Vivienne par deux architectes chargés du bâtiment, Michel Roux-Spitz dans les années 1930, Bruno Gaudin dans les années 2020.
Le caractère au fond assez insolite d’une telle visite et de ce qui en est l’objet suscitera peut-être chez le visiteur d’utiles réflexions sur les notions mêmes de patrimoine et de collection, de bibliothèque et de musée : ce n’est pas si mal.
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Le musée que l’on avait oublié
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°595 du 23 septembre 2022, avec le titre suivant : Le musée que l’on avait oublié