Après douze ans de travaux, le site Richelieu, berceau historique de la Bibliothèque nationale de France, a rouvert les portes de ses joyaux, dont le Musée de la BnF et ses 900 trésors.
C’est sans doute l’un des secrets les mieux gardés de Paris. À l’exception d’une poignée de numismates habitués des lieux, qui se douterait, en effet, que le quadrilatère Richelieu abrite jalousement l’un des plus spectaculaires musées de la capitale ? Une collection si insigne que le génial Voltaire voyait déjà en elle « le monument le plus précieux qui soit en France ». Ce musée mystérieux peut même se targuer d’être le plus ancien de Paris, puisque l’on fête cette année le tricentenaire de son ouverture au public. Public dans un premier temps trié sur le volet, cela va de soi. Mais tout de même : dès son installation au palais Mazarin, la Bibliothèque royale montrait aux visiteurs français comme étrangers ses pièces maîtresses. Son déménagement du château de Versailles était d’ailleurs en partie motivé par la volonté de mettre ce fonds inestimable à disposition des érudits.
En 1741, cette vocation est gravée dans le marbre, car on aménage le Cabinet du Roi pour accueillir amateurs, savants et artistes. Cette pièce, aujourd’hui rebaptisée Salon Louis XV, est un exemple rarissime de Musée du siècle des Lumières. Un unicum dont on a miraculeusement préservé le décor et le mobilier époustouflants. Déclaration d’amour au savoir encyclopédique et à l’art rocaille, cette pièce concentre tout ce qui se faisait de mieux dans le royaume : les dessus-de-porte sont ainsi signés Boucher, tandis que les trumeaux ont été réalisés par Natoire et Van Loo. Sans même parler du mobilier, puisque les superbes médailliers et l’immense table de travail sortent tout droit des ateliers Verberckt et que les chaises et fauteuils ont été réalisés par Cresson, le menuisier de la cour. Dans ce lieu extraordinaire, on se prend à rêver en se remémorant les prestigieux visiteurs qui sont venus étudier dans l’atmosphère ouatée de ces délicates boiseries. On imagine parfaitement le peintre David envoyant ses élèves se former à l’antique, Flaubert se documentant pour rédiger Salammbô, mais aussi Delacroix copiant les monnaies grecques et, plus tard, André Breton se familiarisant avec l’art gaulois.
Si la crème des arts et des sciences se presse entre ces murs, ce n’est pas tant pour son décor que pour les trésors que le cabinet renferme. Aujourd’hui, le terme bibliothèque évoque irrésistiblement les livres. Or, depuis l’instauration du dépôt légal sous François Ier, la totalité des documents édités, importés et diffusés en France est conservée par la Bibliothèque royale, devenue nationale, c’est-à-dire également des partitions, des gravures, puis des photographies. Ce qui explique la quantité vertigineuse de documents conservés par l’institution, que l’on estime à 40 millions ! En outre, sous l’Ancien Régime, avant l’invention des musées, la Bibliothèque était aussi récipiendaire de toutes sortes d’objets de valeur. Du manuscrit précieux aux monnaies et médailles, en passant par les bijoux, les dessins, mais aussi les vases et les sculptures antiques. Sans oublier les prestigieux objets provenant de trésors médiévaux, que l’on pense à ceux de Saint-Denis, de la Sainte Chapelle ou encore de Childéric Ier. Pour faire simple, tout ce qui existait de meilleur arrivait presque toujours dans l’escarcelle royale, soit par acquisition onéreuse, soit par don, et ce, depuis plus d’un demi-millénaire puisque cette collecte a commencé au XVe siècle sous Louis XI. Une accumulation qui s’inscrit dans une stratégie d’affirmation de puissance politique par les emblèmes de la magnificence, qu’il s’agisse de la rareté ou du coût des objets. Certains souverains se démarquent d’ailleurs par des achats mirobolants. À l’instar de Napoléon III qui acquit sur ses propres deniers l’Eucratideion, à savoir la plus grosse pièce d’or provenant de Grèce antique. Dans cette quête, les chefs d’État ont été régulièrement épaulés par de généreux mécènes, certains ayant ainsi grandement façonné l’identité de ces collections, à l’image du duc de Luynes. L’anticomanie de cet homme politique a de fait largement participé à transformer ce lieu en musée de référence pour l’archéologie. On l’a oublié, mais la Bibliothèque nationale a en effet longtemps été le plus important musée d’archéologie du pays, puisque le Louvre était jusqu’à la fin du XIXe siècle essentiellement conçu comme une pinacothèque. Les érudits appréciaient d’autant plus la Bibliothèque qu’elle offrait l’avantage de pouvoir confronter sous un même toit les objets et les sources écrites. Face à l’enrichissement constant de ses collections, le musée a régulièrement dû muter, grignotant toujours plus le site qui l’héberge depuis le règne de Louis XV. Parfois, malheureusement, au détriment des conditions de présentation de ses chefs-d’œuvre. À la faveur d’un immense chantier de rénovation et de réaménagement du site, il se déploie enfin à la hauteur de la valeur de ses collections. Point d’orgue de ce chantier qui a duré une décennie, le musée entièrement repensé offre désormais un parcours spectaculaire de 900 pièces présentées avec goût sur 1 200 m2, dans des salles dont l’atmosphère et le décorum racontent l’histoire des musées et du goût du Grand Siècle à nos jours. Mention spéciale pour la galerie Mazarine qui, au terme d’une remarquable restauration, se mue en éblouissante salle des trésors !
Une nouvelle vie pour la salle ovale
Plus qu’une rénovation, c’est un véritable changement de cap pour la salle ovale. Ou, plus exactement, un retour aux sources. En 1897, l’architecte Jean-Louis Pascal se voit en effet confier la création d’une majestueuse salle de lecture publique, équipement dont Paris, contrairement aux autres capitales, est alors dépourvue. Le retard pris par les travaux, l’irruption de la guerre puis une réorientation du site auront finalement raison de ce projet ambitieux et grand public. De fait, cette salle sera pendant de longues années réservée aux chercheurs en histoire de l’art. La refonte du quadrilatère Richelieu a permis de restaurer ce joyau, mais aussi de revoir son affectation. Ouverte à tous et gratuite, cette salle de lecture offre désormais 20 000 volumes en libre accès dont 9 000 bandes dessinées. Conçue comme un lieu de médiation, elle propose aussi des dispositifs numériques et des fac-similés afin de se familiariser avec les collections patrimoniales. Flanquée d’un nouveau café et d’un jardin dessiné par Gilles Clément, cette pépite devrait rapidement s’imposer comme une halte incontournable.
Le manuscrit de casanovaDepuis l’instauration du dépôt légal en 1537, la Bibliothèque nationale reçoit des documents de toute nature, édités ou diffusés en France. Cette singularité explique la profusion de pièces conservées par l’institution. Par ailleurs, elle continue également d’acquérir régulièrement des documents d’intérêt patrimonial, à commencer par les manuscrits d’ouvrages majeurs dont elle possède un riche fonds. En 2007, elle a, par exemple, acquis grâce à un mécène anonyme le manuscrit de Casanova classé trésor national.
Le caillou Michaux
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le modeste intitulé de cet objet ne donne clairement pas la mesure de son importance historique. Car ce « caillou » est le tout premier document épigraphique babylonien parvenu en Europe. La découverte de cette stèle à valeur juridique a ainsi été un des jalons de la compréhension de l’écriture cunéiforme. C’est le botaniste Michaux, parti explorer la flore du Moyen-Orient, qui l’a découvert à la fin du XVIIIe siècle dans les ruines d’un temple près de Bagdad.
Le Grand Camée de France
C’est assurément la pièce la plus célèbre de la collection du Cabinet des médailles. Et pour cause, car il s’agit d’un objet hors norme tant par ses dimensions exceptionnelles, qui en font le plus grand camée antique, que par sa qualité d’exécution. Élément emblématique du trésor de la Sainte Chapelle, cette pièce a connu une histoire mouvementée, puisqu’elle a été mise en gage auprès du pape, rendue, puis protégée in extremis des saccages révolutionnaires, avant d’être volée, mutilée puis restituée.
Le trésor de Berthouville
En 1830, un cultivateur découvre fortuitement ce trésor en labourant ses champs près de Berthouville, en Normandie. L’inventeur met au jour pas moins d’une centaine d’objets en argent de formes et de styles divers. Ils proviennent d’un temple dédié à Mercure et ont échappé au pillage, car ils ont été dissimulés dans une cachette maçonnée. Cet ensemble de vases, plats, coupes et statuettes, qui pèse la bagatelle de 25 kilos d’argent pur, constitue la plus importante découverte de trésor gallo-romain.
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Le musée retrouvé de la Bibliothèque nationale
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°758 du 1 octobre 2022, avec le titre suivant : Le musée retrouvé de la Bibliothèque nationale