Bibliothèque - Musée

La bibliothèque nationale de France, site Richelieu

La BNF ouvre grand sa malle aux trésors

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 22 septembre 2022 - 1065 mots

PARIS

La collection exceptionnelle de l’institution trouve un écrin à sa mesure dans quatre salles de la bibliothèque Richelieu. Ce chantier muséal devait concilier une histoire prestigieuse avec un objectif d’ouverture au grand public.

La galerie Mazarin rénovée, bibliothèque nationale de France, site Richelieu, Paris © Guillaume Murat / BnF
La galerie Mazarin rénovée, bibliothèque nationale de France, site Richelieu, Paris.
© Guillaume Murat / BnF

Paris. Ne dites pas à Gennaro Toscano que c’est un « nouveau » musée qui ouvre à Paris. Le conseiller scientifique du parcours muséal inauguré le week-end du 17-18 septembre au sein du quadrilatère Richelieu préfère évoquer la troisième itération du plus vieux musée parisien, ouvert au public depuis 1750. Au XVIIIe siècle, le public était invité à emprunter un escalier desservant directement le Cabinet des médailles, perché sur une arche à l’angle des rues Colbert et Richelieu : on pouvait ainsi y découvrir, les mardis et vendredis de 13 heures à 16 heures, les médailles, antiques et livres du roi. Dans les faits, seuls les amateurs poussaient la porte : « Il n’y avait pas de règles, mais les gens s’interdisaient d’y aller », avance l’historien de l’art.

En 2010, le site Richelieu, en plein cœur de Paris, entame alors sa modernisation et inscrit pleinement la Bibliothèque nationale de France (BNF), qui occupe les lieux depuis trois siècles, dans un objectif de démocratisation culturelle. Dans la grande salle Ovale dessinée par Jean-Louis Pascal à la fin du XIXe siècle et magnifiquement restaurée, ce sont les bandes dessinées, mangas et livres jeunesse qui trônent en bonne place sur les rayonnages flambant neuf. L’entrée qui y mène, comme aux salles du parcours muséal, n’est pas la porte austère du 18, rue Richelieu (désormais réservée aux chercheurs et à la salle Labrouste), mais le jardin retrouvé côté rue Vivienne. Une entrée que les architectes du projet, Bruno Gaudin et Virginie Brégal, décrivent comme « plus affable », à l’image du projet architectural entièrement axé sur l’ouverture des lieux au grand public.

Un esprit cabinet de curiosité modernisé

Pour Laurence Engel, présidente de la BNF, cet accès plus accueillant, et ouvert au grand public, est le chaînon qui manquait à l’institution : « Quand on arrive sur le site de Tolbiac, on ne voit pas de livres. Or dans la relation au public, ce contact direct avec l’objet est primordial. » Cinq salles au-dessus de la salle Ovale, et la galerie Mazarin, réparent cette carence en ouvrant une fenêtre sur les collections exceptionnelles de la BNF. Un petit parcours de 1 200 m2 a la faculté, par la grande qualité des objets présentés, de faire ralentir le pas et écarquiller les yeux. « Chaque pièce ici a un pedigree exceptionnel », s’enorgueillit Gennaro Toscano devant les vitrines remplies d’unicum. La Bible de Gutenberg imprimée sur vélin ? « Seuls douze exemplaires dans le monde ! », précise le directeur scientifique. Une amphore cérémonielle venue de Grande Grèce qui a conservé son support : « Il n’y en a que trois comme ça ! » Le Grand Camée de France, le trésor de la Sainte-Chapelle ou la partition manuscrite de Don Giovanni sont des pièces quant à elles uniques, sans équivalent. « Du début de la Renaissance à aujourd’hui, il y a une continuité exceptionnelle dans ces collections. Si on remonte au cabinet royal du château de Blois, les livres étaient présentés avec les horloges, les instruments scientifiques, et même avec la Belle Ferronnière de Léonard de Vinci », rappelle Gennaro Toscano. L’esprit de cabinet de curiosité survit dans le nouveau musée, qui doit mettre en scène des ensembles aussi prestigieux que le don de Gaston d’Orléans au roi Louis XIV pour son cabinet des antiques en 1660, l’ensemble de quelque 80 000 estampes acheté d’un bloc par Colbert, la collection du duc de Luynes léguée en 1862 (qui rivalise en qualité avec la collection Campana du Louvre), les découvertes et emplettes de l’empereur-archéologue Napoléon III… Sans oublier le trésor gallo-romain de Berthouville, acquis au nez et à la barbe du Louvre en 1830, alors qu’une compétition archéologique opposait les deux institutions.

D’un côté des collections impressionnantes, intimidantes – « c’est presque trop », souffle Gennaro Toscano –, de l’autre la volonté d’ouvrir à tous le quadrilatère Richelieu : pour concilier ces deux données dans l’écriture muséale, c’est Guicciardini & Magni Architetti qui a été retenu. L’agence italienne, qui a livré la scénographie remarquée du Musée national d’Oslo, a regardé du côté du luxe pour mettre en valeur la préciosité des objets, mais s’inspire surtout du mobilier des cabinets de curiosité pour en livrer une adaptation moderne, particulièrement réussie dans la salle du duc de Luynes. Du collectionisme des siècles passés, la muséographie délaisse en revanche le caractère exhaustif. Les vitrines sont aérées, présentant une dizaine d’objets soigneusement choisis, rétroéclairés, protégés par une vitre antireflet : un confort de visite optimal. Le parcours parvient même à offrir deux vitrines numismatiques séduisantes, et visuellement frappantes, en jouant sur le contraste entre les ensembles de trésors et les pièces exceptionnelles.

Un dispositif multimédia adapté aux différents publics

L’exigence de démocratisation se manifeste sous la forme de bornes interactives claires et minutées délivrant un contenu adapté au jeune public tout au long du parcours, ou un discours plus approfondi grâce aux interventions des conservateurs de la BNF. Les modèles d’architecture 3D, dans le cabinet Louis XIV, ou les « avant-après » restauration, « voiles de pudeur » levés par les restaurateurs sur le plafond de la galerie Mazarin, sont une des réussites de ces contenus multimédia. Dans la salle introductive, comme dans la galerie Mazarin où sont exposés les livres et documents papier, les vitrines sont assez habilement thématisées pour capter l’intérêt d’un large public, tout en donnant de la cohérence aux collections protéiformes. Conservation oblige, les contenus des vitrines de la galerie seront renouvelés tous les quatre mois, selon un thème choisi.

Le parcours s’achève sur le salon Louis XIV, une period room qui permet de découvrir le tout premier cabinet des antiques, que l’on visitait les mardis et vendredis au XVIIIe siècle. Déposé par Jean-Louis Pascal lorsque celui-ci devient l’architecte de la bibliothèque à la fin du XIXe siècle, ce petit morceau de Versailles à Paris retrouve le public après avoir servi longtemps d’entrepôt d’appoint aux bibliothécaires. Comme si rien n’avait changé, on y découvre les peintures de Van Loo et Boucher encadrées par leurs boiseries d’origine : retour au tout premier musée de Paris. « C’est un musée de la continuité, mais aussi quelque chose de très neuf, nuance Laurence Engel. Pour reprendre les mots de François Mitterrand, c’est une “bibliothèque d’un genre tout à fait nouveau”. » Musée-bibliothèque ou bibliothèque-musée, l’usage qu’en feront visiteurs et lecteurs le dira.

BNF-site Richelieu,
5, rue Vivienne, 75002 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°595 du 23 septembre 2022, avec le titre suivant : La BNF ouvre grand sa malle aux trésors

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