PARIS
Lors de son ouverture en 1793, le Muséum central des arts de la République avait de grandes ambitions mais peu d’espace.
Il n’occupait qu’une partie de la Grande Galerie du palais du Louvre. Deux cents ans plus tard, « le » Louvre occupera la quasi-totalité de l’ancien palais. Entre-temps, de monarchies, en empires, en républiques, le palais a été habité par une succession de petits musées, dont nous avons oublié l’éphémère existence. Invité de la 14e Chaire du Louvre, Pierre Singaravélou a rappelé ces « fantômes », ceux créés au milieu du XIXe siècle : Musée de Marine, Musée ethnographique, Galerie espagnole, Musée algérien, Musée mexicain, Musée chinois… Les cinq conférences de ce professeur d’histoire contemporaine à Paris I et au King’s College de Londres seront mises en ligne par le Louvre tandis qu’un ouvrage sera publié au printemps.
Ainsi, en 1827, s’ouvre au premier étage de la Cour carrée un Musée de Marine. À travers une collection de modèles réduits de navires, il veut prouver le génie de la construction navale française, sa supériorité sur sa rivale britannique au moment où la France relance ses expéditions ultramarines. Ce musée deviendra le plus visité de tous ceux logés au Louvre à l’époque. En 1850, il est doté d’une annexe, un musée ethnographique, le premier du genre, exposant dans une salle de 100 m2 statues, armes, ivoires, étoffes, costumes, pirogues… Là, il s’agit de vanter les bienfaits de l’expansion coloniale, comme également avec le Musée algérien, le Musée mexicain, le Musée chinois.
La naissance de tous ces musées heurte les conservateurs des beaux-arts qui réclament davantage d’espace pour leurs collections et considèrent que les objets présentés dans ces cabinets de curiosités ne sont que des témoins indignes du statut d’œuvre d’art. Ces conservateurs finiront par gagner puisque progressivement tous ces petits musées seront expulsés du palais. La Galerie espagnole, ouverte en 1838 dans la salle dite de la Colonnade, est un cas différent. Par « hispaniolisme », Louis Philippe avait chargé en 1835 le baron Taylor d’acquérir pour son compte personnel un ensemble représentatif du Siècle d’or. Renversé par la révolution de 1848, le roi déchu parvient néanmoins à récupérer « sa » collection qui sera cependant dispersée en 1853 par Christie’s à Londres.
Dans cette histoire, Pierre Singaravélou décèle une vocation universelle du Louvre. Osons nuancer cette affirmation. Le Muséum de 1793 se préoccupait peu d’universel : il mettait en avant l’éducation d’un homme nouveau, libéré par la Révolution. Le musée était réservé en semaine aux futurs artistes pour qu’ils copient les chefs-d’œuvre des grands maîtres. S’il est devenu universel, c’est par accident et quel accident (!) : la conquête coloniale de Napoléon III. L’universitaire voit aussi dans le Louvre « un cas à part dans l’histoire des musées : un extraordinaire laboratoire d’expérimentation en perpétuelle reconfiguration ». Ses conférences manquaient malheureusement de comparaisons européennes qui auraient pu rendre compte d’autres « laboratoires » hors de nos frontières. Ses propos montraient, en revanche – mais en creux – que si le Louvre et tous les musées qui ont cohabité dans le palais sont un « cas à part », c’est d’avoir été un instrument permanent au service du pouvoir, quel qu’il soit, royal ou républicain. Pendant deux siècles et encore aujourd’hui. Le « Grand Louvre » de 1993 a été voulu par François Mitterrand. « Le plus grand projet culturel de la France », le Louvre Abu Dhabi, résulte d’un accord intergouvernemental. Et le Louvre sert toujours l’image du pouvoir. Souvenons-nous de la marche triomphale d’Emmanuel Macron vers la pyramide en 2017. Oui, le Louvre reste un cas unique dans le paysage des musées européens.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°602 du 6 janvier 2023, avec le titre suivant : Le Louvre, instrument du pouvoir