Alors que la communauté internationale tend désormais à encadrer les dommages et pillages que les guerres peuvent occasionner sur les œuvres d’art, l’histoire – napoléonienne, notamment – nous rappelle qu’il n’en fut pas toujours ainsi.
La Révolution française, en attribuant à l’art un pouvoir nouveau – éthique, politique et pédagogique –, reconnaît aux œuvres la capacité de transmettre des valeurs émancipatrices et vertueuses. Partant, l’art devient un enjeu d’autant plus important qu’il permet de donner à voir combien le progrès, la raison et l’émulation enfantent des créations libres et universelles. Liberté et universalité : le Muséum central des arts de la République, qui ne s’appelle pas encore Musée du Louvre, érige ces deux mots en pistons idéologiques et intègre des pièces censées rendre un culte à la raison, quitte à « débarrasser les œuvres et les objets de leur valeur d’origine, afin de mettre en évidence leur utilité pour la régénération en cours » – ainsi que l’affirme la pétition du 12 novembre 1793. Le vandalisme, terme inventé par l’abbé Grégoire pour dénoncer les exactions révolutionnaires, laisse alors sa place à un mal nouveau : la spoliation organisée.
Acquis aux conceptions révolutionnaires, le jeune général Bonaparte, tandis qu’il engage la campagne d’Italie (1796-1797), se voit confier une mission militaire, mais aussi artistique : « Le Directoire exécutif est persuadé que vous regarderez la gloire des beaux-arts comme attachée à celle de l’armée que vous commandez. L’Italie leur doit en grande partie ses richesses et son illustration ; mais le temps est arrivé où leur règne doit passer en France pour affermir et embellir celui de la Liberté » (lettre du 7 mai 1796).
L’Italie est un coffre-fort qu’il convient de piller sans scrupule afin de démontrer l’hégémonie nationale. Dont acte puisque les verrous sautent les uns après les autres : peint par Mantegna, le retable véronais de San Zeno est scié en six morceaux (deux éléments de la prédelle sont toujours au Musée des beaux-arts de Tours) et rejoint la France en 1797 tandis que, l’année suivante, les Noces de Cana de Véronèse habillent le Salon Carré. Cette spoliation massive, dont certaines images donnent à voir la violence symbolique (Charles Meynier, La Madone de Saint-Jérôme est livrée aux commissaires français), suscite de violentes critiques. Quatremère de Quincy, avec ses fameuses Lettres à Miranda (1796) dénonce ce musée qui, pour être exhaustif, exproprie les peuples et dénature l’intégrité des œuvres : « Diviser c’est détruire. »
La férocité du débat trahit l’émergence de la notion de patrimoine. L’art a une histoire et un territoire : ce constat fondateur, qui aboutira en 1954 à une « Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé », n’est pas encore un frein à la mission civilisatrice de la France. Encouragé par les desseins encyclopédiques de Vivant Denon, directeur du musée Napoléon, l’empereur des Français spolie allègrement les vaincus : en 1806, la défaite de la Prusse est l’occasion de s’emparer de toiles de Cranach et du splendide Jugement dernier de Hans Memling ; deux ans plus tard, la prise de Madrid fournit de rares peintures espagnoles, la faute à Goya, âpre négociateur pour la partie adverse ; en 1809, le Belvédère de Vienne est réquisitionné pour ses œuvres de Bruegel et Clouet ; en 1811, l’Italie paie un nouveau tribut « au grand liquidateur ».
Le retour des œuvres
En 1815, la roue tourne. La chute de l’Empire contraint la France à restituer sans délai toutes les œuvres pillées, telle la prestigieuse collection d’antiques du cardinal Albani, dont quelques pièces seront rachetées par Louis XVIII, quand les États italiens renoncent étrangement à réclamer leurs primitifs, trop peu appréciés – Cimabue, Giotto et Fra Angelico resteront ainsi au Louvre.
Parfois fantaisistes, ces mesures soumises aux aléas de la connaissance comme aux affres du temps sont aujourd’hui inimaginables. Toute œuvre indûment saisie doit être restituée à ses propriétaires selon une loi et un cadre souverains qui pressent les pays à renoncer à des œuvres majeures, ainsi les milliers de pièces archéologiques rendues récemment à l’Équateur et au Pérou par l’Argentine.
Universel, le patrimoine appartient à tous et incombe à chacun : chaque bien culturel menacé de pillage ou de destruction doit désormais être signalisé, protégé et sauvegardé. Devant les destructions menées par l’État islamique en Syrie, Jean-Luc Martinez, le président-directeur du Musée du Louvre, sur demande de François Hollande, a remis un rapport formulant ses propositions françaises pour protéger le patrimoine de l’humanité. La guerre, aussi barbare soit-elle, a ses propres règles, auxquelles doivent se plier les belligérants, débarrassés de toute impunité. Appliquées il y a deux cents ans, ces mesures auraient-elles conduit Napoléon, dans une Italie enfin soumise, à découvrir des églises et des palais vidés de leurs œuvres ? L’histoire de l’art en eût été assurément changée…
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1815, le Musée Napoléon restitue les œuvres pillées
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°446 du 27 novembre 2015, avec le titre suivant : 1815, le Musée Napoléon restitue les œuvres pillées