FRANCE
À la chute de l’Empereur, le peintre et sculpteur a été chargé par le pape Pie VII de se rendre au Louvre pour récupérer les œuvres emportées par les Français pendant les guerres de la Révolution et de l’Empire.
Lorsque les régimes s’effondrent, il est de coutume d’abattre les statues. Sauf à la chute de Napoléon Ier. Les Français ne les ont alors pas déboulonnées mais restituées. Les conflits de la Révolution et de l’Empire ont ravivé une pratique traditionnelle tombée en désuétude : l’art comme butin de guerre. Pour les Parisiens, au cours des deux décennies d’épopée napoléonienne, la preuve la plus tangible de la gloire de leur pays n’était pas à chercher dans les lignes des bulletins de la Grande Armée, mais dans les files de convois d’œuvres d’art qui provenaient de l’Europe entière. Le premier est parti en 1794 des Pays-Bas et de Belgique avec notamment le tableau d’autel des frères Van Eyck de Gand ou encore les toiles de Pierre Paul Rubens d’Anvers, en direction du « Muséum central des arts de la République », à Paris. Ce n’est pas encore le Louvre mais bientôt le « Musée Napoléon » en hommage à celui qui enrichit ses collections à chacune de ses campagnes militaires. Il rentre la tête ornée de lauriers et les bras chargés de chefs-d’œuvre.
La mission que confie le Directoire au jeune général lorsqu’il franchit les Alpes pour la première fois en 1796 est claire : « Le temps est arrivé où le règne [des beaux-arts] doit passer en France pour affermir et embellir celui de la liberté. Le Muséum national doit renfermer les monuments les plus célèbres de tous les arts. » On propose ainsi sérieusement d’enlever de Rome la colonne Trajane et de l’ériger à la pointe de l’île de la Cité. On lui préférera finalement les plus belles pièces des collections pontificales. À la différence des autres pays, les confiscations artistiques dans la Péninsule sont le plus souvent institutionnalisées. Par le traité de Tolentino (22 janvier 1797), le pape Pie VI cède une centaine d’œuvres à la France, tandis que des commissaires français disposent du droit de se servir aussi bien dans les collections des édifices publics ou religieux que dans celles des grandes familles romaines qui n’arrivent pas à honorer les lourdes contributions de guerre auxquels elles sont soumises. C’est le cas des Chigi, Corsini, Barberini ou encore des Borghese dont la collection de marbre est vendue sous la contrainte en 1809 pour 8 millions de francs à Napoléon.
À cette époque, le Musée Napoléon, sur les rives de la Seine, et qui deviendra le Musée Royal du Louvre, est « le plus bel établissement de l’univers », s’enorgueillit son directeur, Dominique Vivant Denon. Dans ses salles, on peut admirer les sculptures de l’Apollon du Belvédère, de la Vénus de Médicis, du Discobole, du Laocoon, sans oublier les toiles de Raphaël, du Corrège ou encore les chevaux de bronze de la place Saint-Marc de Venise et les Noces de Cana de Paul Véronèse coupées en deux et envoyées en France. Paris se conçoit comme la nouvelle Rome et les Français ne font qu’imiter leurs illustres prédécesseurs. Pendant l’Antiquité, les dépouilles de la Grèce et de l’Orient hellénisé n’avaient-elles pas pris le chemin de la Péninsule ? La France, « mère des arts, des armes et des lois » se doit désormais d’attester sa prééminence culturelle. De toute l’Europe affluent œuvres picturales ou sculpturales, éléments architecturaux, biens archéologiques mais aussi archives des bibliothèques, collections numismatiques, minéralogiques et botaniques.
Dans le sillage de la Grande Armée, on retrouve Vivant Denon qui parcourt le continent pour inventorier les trésors artistiques des vaincus et prélever ceux dignes de rejoindre les collections de son musée. Tout au long de l’Empire, les arrivages d’Italie ne cessent de se succéder. Les caisses partent le plus souvent de Livourne ou La Spezia pour ensuite emprunter les voies fluviales avant que des chariots ne les acheminent à Paris. « Que Votre Majesté laisse au moins quelque chose à l’Italie ! », supplie Antonio Canova lors d’un déjeuner au cours duquel Napoléon émet son désir de s’emparer de l’Hercule Farnèse à Naples. L’artiste vénitien a beau être l’auteur de l’icône du régime impérial en ayant sculpté un nu héroïque colossal (Napoléon en Mars désarmé et pacificateur), son âme de patriote italien souffre. Il ne cessera de réclamer la fin des « rapines artistiques », en vain.
La défaite militaire de la France face à l’Europe coalisée en 1814 et l’abdication de son empereur seront plus efficaces que ses récriminations. Mais, à sa grande déception, les alliés qui occupent Paris n’évoquent pas d’éventuelles restitutions. La question n’est même pas abordée au congrès de Vienne où se négocie la paix. Le retour des Bourbon sur le trône ne déclenche pas un enthousiasme débordant et démanteler le Louvre serait une humiliation que ne supporterait pas la vanité des Français.
Les Cent-Jours et la bataille de Waterloo font voler en éclats la magnanimité des coalisés qui occupent pour la deuxième fois Paris en un an. Les soldats du Prussien Blücher forcent les portes du Louvre. De juillet à novembre 1815 entre 70 % et 80 % des œuvres spoliées reprennent la route de leurs pays d’origine manu militari.
C’est les mains vides que se présente, à la porte du musée, Antonio Canova envoyé comme représentant du pape Pie VII en août 1815. Sa tâche est ardue. La Péninsule est une mosaïque de principautés, royaumes, duchés et grands-duchés, et il ne dispose ni d’une soldatesque pour impressionner les Français, ni d’une liste précise des œuvres dont il exige le retour. Le souverain pontife compte sur son prestige et sa prodigieuse mémoire. Antonio Canova établit un catalogue de cinq cent six pièces, mais doit affronter la résistance passive de Vivant Denon qui ne lui permettra d’en récupérer qu’environ la moitié, soit deux cent quarante-neuf tableaux et statues. Il lui faudra pour cela gagner l’appui de l’Autriche, qui domine le nord de l’Italie, mais surtout celui du Britannique William Richard Hamilton. Ce diplomate, secrétaire permanent au Foreign Office, se passionne pour sa cause. Le roi d’Angleterre paiera même le transport des œuvres qui était à la charge des pays qui les réclamaient.
Dès le mois d’octobre 1815, Canova commence son travail qui lui vaut les sarcasmes de Talleyrand qui rebaptise l’ambassadeur du pape « Monsieur l’Emballeur ». Le 24 octobre 1815, un convoi de quarante-neuf tonnes escorté par deux escadrons de uhlans allemands quitte finalement Paris. Quarante et un chariots traînés par deux cents chevaux s’ébranlent en direction des Alpes. Le 23 novembre 1815, sur la route du Montcenis, le groupe du Laocoon tombe et se fracasse sur la glace, ce qui nécessitera un important travail de restauration à son arrivée à Rome. C’est le seul incident notable qu’essuie le convoi. Il fait, quelques jours plus tard, son entrée à Milan d’où les œuvres seront ensuite acheminées à leur destination finale. Plus de deux siècles après les faits, dans l’imaginaire collectif italien, demeure l’écho de ce dicton de la fin du XVIIIe siècle : « Tutti i francesi non sono ladri ma Buonaparte sì [1]. »
1. Le jeu de mots de cette citation repose sur la traduction du nom « Buonaparte » qui signifie en italien à la fois Napoléon et « une bonne partie » : « Tous les Français ne sont pas des voleurs, mais Buonaparte/une bonne partie l’est certainement. »
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1815 : Canova récupère les œuvres pillées par Napoléon en Italie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°568 du 28 mai 2021, avec le titre suivant : 1815 : Canova récupère les œuvres pillées par Napoléon en Italie