Presse

Le dessin de presse, un art menacé

Par Pascal Ory · Le Journal des Arts

Le 28 janvier 2022 - 654 mots

PARIS

Il y aurait beaucoup à dire sur le débat – si français – autour de la localisation de la « Maison du dessin de presse », annoncée par Emmanuel Macron.

Le choix de Paris a choqué les Limousins, qui pouvaient arguer de la tradition locale du Salon international du dessin de presse [à Saint-Just-le-Martel]. Le président de la République, quant à lui, a certainement entendu Maryse Wolinski, qui bataillait pour l’ouverture d’un tel lieu mais qui ne pouvait faire autrement que de défendre une localisation dans la capitale, moins par « parisianisme » qu’en lien fort avec le lieu de l’attentat du 7 janvier 2015 où, rue Nicolas-Appert – fait sans doute sans précédent –, une rédaction s’est retrouvée presque exterminée. Ce jour-là le dessin de presse a conquis dans le sang ses lettres de noblesse. Le plus terrible dans cette affaire, c’est que l’on peut se demander si, sept années plus tard, ces lettres-là ne sont pas en train de s’effacer.

À la veille de l’attentat, le dessin de presse souffrait encore d’une cascade de condescendances. Il suffit de le considérer au regard des arts plastiques institués pour mesurer l’étendue du handicap. Le dessin de presse fait partie des œuvres moins « reproductibles » que reproduites, à un nombre d’exemplaires parfois considérable. Même s’il arrive qu’on lui accorde une place de choix dans les mises en page – l’apogée, sur ce plan, se situe déjà dans le passé, dans l’entre-deux-guerres –, il est plus souvent intégré à des dispositifs où le texte prédomine. Au reste, l’indiscutable déclin de la presse imprimée ne peut manquer de l’entraîner dans sa chute. Mais le discrédit le plus profond tient, comme souvent, à la forme. Le dessin de presse participe à l’univers de la figuration, ce qui suffisait, un demi-siècle durant, à le maintenir en lisière de l’art légitime ; plus subtilement encore, c’est un art instrumentalisé, mis au service d’un effet et cet effet est le moins noble qui soit – au sens étymologique il est « ignoble » – : le comique. On ne sortira pas de là : un art plastique digne de ce beau nom ne doit faire ni rire ni même sourire. Le dessin de presse a vraiment tout faux.

Ajoutons que, du côté des journalistes, le déficit de reconnaissance n’est pas moindre : face à ces deux sommets du métier que seraient respectivement l’éditorialiste et le grand reporter, le dessinateur a mis beaucoup de temps à accéder à la carte de presse et un journal de référence comme Le Monde a attendu 1969 pour en admettre un dans ses pages. En France, l’apogée du prestige intellectuel de cet art aura correspondu aux quarante années où Plantu a occupé la « une » du quotidien. Son remplacement, en 2021, par un groupe de dessinateurs n’a que médiocrement camouflé une réalité violente : le lâchage des dessinateurs par les directions. D’abord efficacement terrorisés par le terrorisme islamiste, lesdites directions ont ensuite été saisies de panique à l’idée que des dessins satiriques pourraient être assimilés à des attaques contre l’« identité » ou la « diversité ». À cet égard, une date historique aura été le 1er juillet 2019, jour à partir duquel la direction du New York Times a décidé de ne plus publier de dessins.

Désormais une évidence s’impose : contrairement à l’idée dominante qui semblait triompher après la chute du mur de Berlin, suivant laquelle la censure, menant un combat d’arrière-garde depuis trois siècles, n’allait pas tarder à s’effondrer totalement, la situation présente est analogue à celle qui prévalait antérieurement : le comique est aujourd’hui toujours attaqué en vertu, c’est le mot, de la morale dominante. Les valeurs de cette morale et ses porte-parole ont simplement changé : l’interdiction et la répression demeurent. On peut donc en conclure que la censure ne disparaîtra jamais et que la notion problématique est, définitivement, la « liberté d’expression ».

Bref : l’ouverture, quel qu’en soit le lieu, d’une « Maison du dessin de presse » est une bonne nouvelle, même si l’art en question est, de tous côtés, menacé. Même si, ou parce que.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°581 du 21 janvier 2022, avec le titre suivant : Un art menacé

Tous les articles dans Opinion

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque