NEW YORK / ETATS-UNIS
Musée-société. Quand les employés d’un musée protestent publiquement, c’est généralement à propos de leurs conditions de travail.
Nous le savons en France, mais aussi aux États-Unis, comme l’ont montré l’été dernier les manifestations de salariés du MoMA (Museum of Modern Art) à New York. Voilà, cette fois, qu’au nom de l’éthique une centaine d’employés du Whitney Museum of American Art signent une lettre ouverte réclamant la démission du vice-président du conseil d’administration, Warren Kanders, l’un des principaux mécènes de l’actuelle exposition « Andy Warhol ». Ces conservateurs, membres du service éducatif ou de l’administration demandent, en outre, un débat interne pour élaborer une charte clarifiant les relations entre les trustees (administrateurs) et les objectifs sociétaux de l’établissement.
L’initiative des salariés de cet établissement new-yorkais reflète la situation américaine qui voit les musées dépendre, depuis leur création, de fonds privés les finançant en majeure partie. Mais elle s’inscrit aussi dans un contexte plus général où, partout dans le monde, la part du privé s’accroît, et où également les questions morales, écologiques sont davantage portées par des initiatives dites citoyennes, des lanceurs d’alerte. Aucun musée ne pourra désormais échapper à ces débats de société.
Jusqu’à présent, seuls des groupes extérieurs aux établissements agissaient, comme ceux qui protestent, depuis fin 2017, contre les institutions soutenues, aux États-Unis et en Europe, par la famille Sackler, qui a fait fortune dans l’industrie pharmaceutique et notamment grâce à la fabrication d’un puissant opiacé devenu un fléau mortel par addiction. Ils exigent l’abandon de tout mécénat Sackler et la réaffectation des sommes au traitement des malades. Des militants écologistes ont par ailleurs contraint la Tate de Londres à revoir sa collaboration avec la société BP (British Petroleum), après trois années de procédure et de coups d’éclat médiatisés.
Ce sont les informations du blog et magazine culturel en ligne Hyperallergic qui ont déclenché la protestation des employés du Whitney. Celles-ci révélaient que, fin novembre 2018, une tentative de franchissement de la frontière entre Tijuana et San Diego par des familles mexicaines avait été brutalement stoppée par des soldats américains armés de grenades de gaz lacrymogène fabriquées par la société Safariland, propriété de Warren B. Kanders. L’émotion relayée par les réseaux sociaux et le silence jugé complice du musée ont motivé ceux « se sentant proches de ces communautés » et constatant une contradiction avec la mission affichée par le Whitney en faveur de leur intégration.
Le directeur du musée, Adam D. Weinberg, s’est fendu d’une réponse très langue de bois, qui exprimait sa conscience des maux d’un monde injuste et disait l’impossibilité du musée à les résoudre tous, mais rappelait aussi fermement les règles juridiques : « Chacun de nous a un rôle crucial et complémentaire : les membres du conseil d’administration ne recrutent pas le personnel, ni ne choisissent les expositions, ou procèdent à des acquisitions ; le personnel, lui, ne nomme ou ne destitue les membres du conseil d’administration. » Quant à Warren Kanders, il a rétorqué qu’il est injuste de lui faire porter la responsabilité de cette répression violente, puisqu’il ne décide pas de l’usage des grenades fabriquées par sa société. La seule responsabilité de Safariland est de livrer des produits qui fonctionnent bien [sic]. Sa réaction des plus cyniques n’a fait qu’attiser la controverse. L’exposition « Andy Warhol » est désormais marquée d’une œuvre « inédite », un détournement, par le collectif Decolonize This Place and MTL+, des représentations sérigraphiées de l’artiste qui accumulait boîtes de soupe Campbell ou bouteilles de Coca-Cola. Mais dans cette affiche, diffusée sur le Net et brandie lors des manifestations, des grenades lacrymogènes remplacent les icônes de la consommation américaine.
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Éthique : des salariés du Whitney prennent la parole
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°515 du 18 janvier 2019, avec le titre suivant : Éthique : des salariés du Whitney prennent la parole