MONDE
S’engager concrètement en faveur d’une meilleure représentation de la diversité culturelle est nécessaire.
Néanmoins, les stratégies déployées par certains professionnels du marché laissent perplexe tant elles semblent instrumentaliser les artistes au nom d’une identité unique, voire les propulser grâce à un marketing ethnique bien ciblé. L’aventure d’un artiste ghanéen, passé en moins de deux ans du conte de fées aux affres de la spéculation est à cet égard édifiante.
Depuis la renaissance du mouvement Black Lives Matter, nombre de galeries annoncent que des artistes noirs les rejoignent. Tant mieux. Mais ces marchands connaissent les effets de la bien-pensance et savent que, surtout aux États-Unis, des acheteurs déplorent désormais que leurs collections soient trop « blanches » et veulent combler leurs lacunes. David Zwirner, l’un des opérateurs les plus puissants au monde, franchit un nouveau pas. Bien que le Covid-19 l’ait contraint à réduire ses effectifs de 20 %, il va ouvrir un nouveau lieu semi-commercial géré par une équipe entièrement afro-américaine. À sa tête, la galeriste Ebony L. Haynes, responsable également d’un programme de formation au marché de l’art pour des étudiants noirs à l’École d’art de l’université de Yale. Elle affiche un CV militant et efficace. Pour autant, son programme d’expositions va-t-il privilégier la reconnaissance d’une pratique artistique à la déclaration d’identité ? Va-t-il souligner une segmentation ou, au contraire, faire coexister de multiples et « différent.e.s artistes » comme la notion d’intersectionnalité le préconise désormais, notamment en Amérique : le croisement des identités, celles de la condition sociale, du sexe, des préférences sexuelles, du genre… Réponses au printemps à Manhattan.
Un chapitre de l’Intelligence Report 2020 d’Artnet est consacré au cas Amoako Boafo. Le contexte de sa fulgurante ascension est différent, mais les leviers restent habituels : des marchands aiguisés par leur flair, des collectionneurs prescripteurs (la Rubell Family), des mondanités fastueuses et médiatisées, des investisseurs qui misent sur le second marché. Né en 1984 à Accra, l’artiste y vivait pauvrement en vendant quelques portraits à 100 dollars. En 2014, le Ghanéen s’installe à Vienne où il réalise toujours des portraits de Noirs exclusivement, mais de plus grands formats, très influencés par Egon Schiele et avec une technique qui fera sa singularité : il peint davantage avec ses doigts qu’avec des pinceaux. Au printemps 2018, Kehinde Wiley – l’artiste qui a signé le portrait de Barack Obama – le découvre via Instagram. Il achète des œuvres et le recommande à ses galeristes. Quelques semaines plus tard, Boafo est exposé chez Bennett Roberts à Los Angeles, tous les tableaux sont déclarés vendus à 10 000 dollars. En 2019, il devient la coqueluche des foires, les prix grimpent à 25 000 dollars. Don et Mera Rubell, qui avaient déjà contribué au succès de Sterling Ruby, d’Oscar Murillo, l’accueillent en résidence pour inaugurer leur Rubell Museum à Miami. En 2020, Boafo collabore à la création de la collection Dior Homme. Le 13 février, la sidération est à son comble. L’un de ses tableaux, The Lemon Bathing Suit est adjugé 675 000 livres sterling, plus de treize fois son estimation, chez Phillips Londres. Mais nous apprenons que c’est Boafo lui-même, avec le soutien d’investisseurs, qui a enchéri pour tenter de reprendre le contrôle d’un marché qui s’envolait et lui échappait. The Lemon Bathing Suit était vendu par un spéculateur qui l’avait acquis un mois auparavant 22 500 dollars ! Depuis, la toile aurait encore changé de mains pour un prix non communiqué. Money Matters, l’argent compte évidemment, Boafo s’y brulera-t-il les doigts ?
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Black Lives Matter Marketing
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°556 du 27 novembre 2020, avec le titre suivant : Black Lives Matter Marketing