Si le concept actuel de patrimoine prend racine au XIXe siècle, sa protection par un cadre juridique date de 1913. Depuis, il n’a jamais cessé d’évoluer…
Il faut arrêter le marteau qui mutile la face du pays. Une loi suffirait ; qu’on la fasse. Quels que soient les droits de la propriété. » Dans son pamphlet Guerre aux démolisseurs, Victor Hugo pointe dès 1825 la nécessité de légiférer sur le patrimoine et préfigure les dispositions fondamentales qui ne verront le jour qu’en… 1913.
Le XIXe siècle, dans le sillage du vandalisme révolutionnaire, marque en effet un tournant dans la prise de conscience patrimoniale. À partir de 1830, les premiers inspecteurs des Monuments historiques mènent un intense travail d’inventaire, classant et restaurant les édifices les plus insignes. Mais cette entreprise fondamentale, faute de réelle armature technique et juridique, se cantonne le plus souvent à des sauvetages d’urgence ; il faut attendre la loi de 1913 sur les monuments historiques pour qu’émerge une véritable politique de protection en amont. Pour la première fois, une loi définit les critères de classement, les intervenants obligatoires et, surtout, autorise à protéger un bien sans l’accord de son propriétaire.
Doté d’une solide infrastructure administrative et d’un arsenal juridique, l’État s’engage dès lors à participer financièrement à l’entretien du patrimoine, mais aussi, à sanctionner pénalement les contrevenants. Dorénavant, les biens « dont la conservation présente, au point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt public » sont protégés et ne peuvent être modifiés ou restaurés sans l’aval du ministère de la Culture.
Du monument au site
À partir de 1943, la protection s’étend aux abords des monuments ; tout chantier situé dans un périmètre de 500 m doit être approuvé par l’architecte des Bâtiments de France. Cette dynamique d’extension topographique s’affermit encore en 1962, dans la loi dite « Malraux » sur les secteurs sauvegardés, pour permettre de protéger des centres historiques dans leur intégralité. Dès sa promulgation, elle sauve ainsi plusieurs quartiers menacés de démolition, comme celui du Vieux Lyon, le plus grand ensemble urbain de la Renaissance en France.
Enfin, dernier grand dispositif en date, la création en 1983 des zones de protection du patrimoine architectural urbain et paysager (ZPPAUP) offre la possibilité d’élargir la notion d’abords et de préserver des sites remarquables mais ne pouvant prétendre au titre de monument historique. « Les différentes mesures en faveur de la protection du patrimoine ont permis à la France de conserver un des plus beaux paysages au monde, ce qui contribue notamment à son attractivité touristique », souligne Vincent Négri, chercheur associé au CNRS et spécialiste du Code du patrimoine.
Extension du champ patrimonial
À ce jour, les politiques patrimoniales ont, effectivement, permis de protéger 43 000 immeubles – dont 500 de plus par an – auxquels s’ajoutent 132 000 objets classés, une centaine de secteurs sauvegardés et plus de 600 ZPPAUP. Cette liste brille par sa taille, mais aussi par sa diversité ; toutes les époques y sont représentées, une représentativité conquise, cependant, au prix de rudes batailles. En effet, jusqu’au XXe siècle, seul le patrimoine antérieur au XVIIe siècle jouit d’une véritable aura.
Au lendemain de la Grande Guerre, et de son cortège de destructions, la politique de protection s’étend, notamment en faveur de l’architecture classique. Le patrimoine moderne, postérieur à 1850, n’est en revanche pas représenté, à l’exception des sites emblématiques de la Première Guerre mondiale. L’intérêt pour les qualités architecturales des édifices récents ne s’éveille qu’à partir de 1959, sous l’impulsion d’André Malraux. Le ministre fait protéger une cinquantaine de symboles de l’architecture moderne, dont des ensembles Art nouveau parisiens et nancéiens et la tour Eiffel, icône nationale qui ne fait pourtant l’objet d’aucune protection avant 1964 ! Au terme d’une virulente bataille, la Villa Savoye de Le Corbusier intègre également la prestigieuse liste.
Passés ces coups médiatiques, le rythme des protections ralentit, et il faut attendre le traumatisme populaire de la destruction des Halles de Baltard, en 1971, pour que les mentalités évoluent sur le patrimoine récent.
Une inflation classificatrice
Les années 1980 marquent, en effet, une inflation des protections, en raison d’une plus vaste prise en compte de l’architecture moderne, des politiques de décentralisation, mais aussi de la définition des « nouveaux patrimoines ». « Les demandes de protections portant sur le patrimoine rural, industriel, scientifique et technique, les théâtres, cinémas, mais aussi boutiques, marchés, halles et gares ont afflué », rappelait Marie-Anne Sire, inspecteur général des Monuments historiques, lors du colloque dédié aux lieux de mémoire, organisé en 2009 à l’Institut national du patrimoine. Entre 1980 et 2000, plus de 10 000 immeubles sont ainsi préservés qui n’ont parfois pas de réelle qualité architecturale, comme en témoignent les 130 boutiques parisiennes protégées, pour la seule année 1983, dont certaines n’arborent que d’infimes vestiges de leur décor d’origine.
Cette augmentation massive des protections a d’ailleurs suscité le débat parmi les historiens, les sociologues et même les conservateurs. Dans son récent ouvrage, Mirabilia, l’ancien directeur de l’Inventaire général du patrimoine, Michel Melot, explique ainsi comment les spécialistes ont vu « s’élargir notre registre de l’art à toute œuvre symbolique faite de main d’homme ». Cette hyperpatrimonialisation n’est pas sans conséquence : « À l’étranger, notre législation a longtemps été enviée ; aujourd’hui, au contraire, on critique de plus en plus la France comme un pays qui se muséifie et où l’architecture contemporaine est sclérosée », avoue un conservateur du patrimoine.
Et de s’interroger : « S’il est légitime de préserver un monument de premier ordre ainsi que son environnement, cette disposition doit-elle aussi s’appliquer de façon rigide aux centaines de lavoirs ou de halles de marché, parfois de piètre qualité, protégés souvent de façon excessive ? »
La parution en juin de Monumental, la revue semestrielle du CMN, revient longuement sur la création architecturale et paysagère et sa place dans l’intervention sur les monuments. Elle fait suite au thème de la création artistique dans les monuments historiques abordé dans le numéro du second semestre de 2012. Monumental, semestriel 2013-1, Éditions du patrimoine, 128 p., 330 ill., en vente en librairie.
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1913-2013 cent ans de protection des monuments historiques
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°660 du 1 septembre 2013, avec le titre suivant : 1913-2013 cent ans de protection des monuments historiques