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ENTRETIEN

Nathalie Moureau : « Dès le XIXe siècle, les marchands promouvaient leurs artistes à l’étranger »

Professeure à l’université Paul-Valéry-Montpellier

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 18 septembre 2024 - 831 mots

Un ouvrage collectif retrace l’évolution du métier de galeriste en France depuis le milieu du XIXe siècle jusqu’en 2020.

Professeure en sciences économiques à l’université Paul-Valéry-Montpellier et chercheuse spécialisée en économie de la culture, Nathalie Moureau est l’une des quatre autrices d’Une histoire des galeries d’art en France du milieu du XIXe siècle à nos jours. Elle a traité la période des années 1980-2020.

Quelle a été votre méthodologie pour aborder cette histoire des galeries françaises des quatre dernières décennies ?

J’ai consulté en bibliothèque toute la presse traitant du monde de l’art sur cette période, et classé cette masse de documents en dossiers thématiques. J’ai aussi constitué de volumineuses collections de magazines et de catalogues de la Fiac [Foire internationale d’art contemporain]. Pour le quatrième chapitre de la partie que je traite, j’ai souhaité établir une liste de galeries représentatives de la période 1990-2020. J’ai donc gardé celles qui sont nées au début des années 1990 et qui sont toujours actives, soit une petite trentaine. Je leur ai fait parvenir un questionnaire afin d’établir leur profil, d’un point de vue non seulement économique mais aussi artistique. Je souhaitais dégager des parcours différents. Vingt-sept m’ont répondu.

Qu’est-ce qui vous a le plus surprise en collectant ces données ?

J’ai demandé à ces galeries quelles étaient leurs collaborations les plus anciennes avec les artistes, et quelles étaient les plus récentes. J’ai été étonnée de constater que toutes les galeries, quelle que soit leur taille, n’ont jamais cessé d’intégrer de nouveaux artistes, ce qui témoigne de leur dynamisme et de leur volonté prospective.

Vous notez au tournant des années 2000 l’apparition d’une nouvelle figure, celle de la « méga galerie ». Quelles en ont été les conséquences ?

Le terme de « méga galerie » apparaît en 1996 sous la plume de la journaliste américaine Carol Vogel, à propos de la galerie Pace Wildenstein. Dans les années 2010, l’expression se popularise. L’émergence de ce modèle a conduit le marché de l’art à fonctionner comme la plupart des industries culturelles. Ces enseignes, qui disposent de nombreux espaces dans le monde et de moyens financiers étendus, vont puiser dans les galeries de taille intermédiaire les talents émergents, à la carrière desquels elles donnent ensuite un coup d’accélérateur grâce à la mise en place de stratégies marketing.

Le nombre de galeries en France a considérablement augmenté au cours des dernières décennies. Dans l’ouvrage, il est estimé à un millier environ : comment expliquer cette augmentation ?

Même s’il est difficile de déterminer leur nombre exact, on sait en effet qu’il a explosé : les galeries étaient un peu plus de 550 en 1980 et on en compte plus d’un millier en 2020. Elles ont été portées par une conjoncture favorable depuis le début des années 2000 et l’apparition d’un réseau de collectionneurs actifs.

Ce chiffre recouvre des réalités très disparates, avec une persistance du modèle de la galerie « de brique et de mortier », ainsi que vous l’appelez. Les galeries sont toutefois entrées dans l’ère du numérique : avec quel corollaire ?

De nombreuses plate-formes ont cherché à impliquer les galeries dans leurs activités, notamment la plate-forme américaine Artsy. Mais il a fallu attendre la pandémie de 2020 pour que les galeries recourent plus massivement à la vente en ligne, en particulier via les « viewing rooms » proposées par les foires. Si le modèle de la galerie physique a cependant perduré, la révolution numérique a fortement contribué à la financiarisation du marché, car de nombreux sites d’information ont vu le jour, qui indiquent les prix et les tendances, et publient des classements. Cela a également renforcé la dimension distinctive et sociale du monde de l’art.

Cet ouvrage collectif embrasse près de deux siècles de l’histoire des galeries, c’est très ambitieux. Avez-vous travaillé chacune de votre côté ?

Oui, cela a nécessité un énorme travail de synthèse, forcément un peu frustrant pour chacune d’entre nous. Mais l’intérêt de l’ouvrage réside dans cette présentation sur le temps long qui permet d’apprécier l’évolution du métier de galeriste : il y a beaucoup à apprendre du regard sur le passé. Alice Ensabella, Agnès Penot, Léa Saint-Raymond, Julie Verlaine et moi-même, nous avons collaboré les unes avec les autres, et chacune a lu les chapitres des autres périodes traitées. C’est très intéressant de voir cette histoire en perspective depuis le milieu du XIXe siècle, et de constater, par exemple, que très tôt les galeries ont eu une propension à vouloir être présentes à l’international, notamment à travers leur participation à de grandes expositions. Bien sûr, ce phénomène d’internationalisation s’est accru, mais dès la fin du XIXe siècle, les marchands se rendaient déjà à l’étranger pour promouvoir les artistes. De 1880 à 1914, le marché de l’art vivant regarde ainsi vers les États-Unis, qui traversent alors une phase de prospérité, le « Gilded Age ». Le métier s’est certes profondément transformé, mais il y a des constantes, amplifiées bien évidemment par l’accélération liée aux moyens de transport, à la communication, et à la multiplication des foires dans les années 2000.

Une histoire des galeries d’art en France du milieu du XIXe siècle à nos jours, Alice Ensabella, Nathalie Moureau, Agnès Penot, Léa Saint-Raymond, Julie Verlaine,
éd. Flammarion, 38 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°639 du 20 septembre 2024, avec le titre suivant : Nathalie Moureau, Professeure à l’université paul-Valéry-Montpellier : « Dès le XIXe siècle, les marchands promouvaient leurs artistes à l’étranger »

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