Si le phénomène n’est pas nouveau, il s’est considérablement accéléré depuis le confinement de 2020. Les ventes aux enchères exclusivement en ligne continuent de se développer en élargissant le spectre des objets dispersés.
France. Les ventes online only (ventes dématérialisées) sont des ventes organisées sur Internet, sans intervention du commissaire-priseur (à la différence des ventes live qui, elles, reposent sur une vente physique en salle). Elles s’étalent d’ordinaire sur plusieurs jours.
Ce modèle de ventes publiques, lancé par Christie’s en 2011, a surtout pris son envol en 2020 avec le confinement imposé par la pandémie. Selon le rapport du Conseil des ventes (CVV) de 2021, le montant de ces ventes pour le secteur Art et Objets de collection est passé de 35 millions d’euros en 2019 (80 M€ en 2020) à 144 millions en 2021, soit une progression de 311 %. En France, la part de ce format de vacations s’élève à 8 % (contre moins de 1 % en 2019) tandis qu’au niveau mondial, elle représente 15 % du montant total.
Pour autant, toutes les maisons de vacations françaises ne voient pas leurs ventes en ligne progresser dans les mêmes proportions puisque, toujours selon le rapport du CVV, la progression est de 90 % pour les vingt premières, quand elle n’est que de 21 % pour les maisons au-delà de la vingtième place. « La réalité est que l’organisation d’une vente “online” demande autant de temps et d’énergie qu’une vente classique, sans parler que cette opération n’est pas naturelle pour nous qui nouons des contacts précieux avec nos clients à l’occasion de nos ventes physiques. C’est aujourd’hui davantage une cerise sur le gâteau qu’une part importante du gâteau ! », considère le commissaire-priseur tourangeau Aymeric Rouillac, qui a organisé quatre ventes en ligne cette année.
Sotheby’s Paris a lancé son offre online en 2019 avec treize ventes alors que, cette année, elle en a programmé trente-cinq (sur 67 en tout) soit, depuis 2020, une trentaine par an. Christie’s Paris n’organisait aucune vente totalement dématérialisée en 2019, contre quatorze en 2022, soit une quinzaine par an (30 %) depuis trois ans, avec une concentration cette année sur les mois de novembre et décembre (sept ventes online et treize ventes physiques). Même constat chez Artcurial : « Entre 2019 et 2022, nos ventes 100 % numériques ont augmenté de 50 %, soit entre vingt et vingt-cinq ventes par an. Ce format va aller en augmentant car nous essayons, dès que la vente s’y prête, d’opter pour lui », rapporte le commissaire-priseur Stéphane Aubert. La maison Aguttes, elle, est passée de trente et une ventes online en 2019 à cinquante-trois en 2022 (contre 48 en 2021).
Signe de l’intérêt pour ce modus operandi, Interencheres a lancé en septembre 2021 un service online only, qui, à ce jour, a dispersé plus de 30 000 lots. « Les courbes du produit vendu de ce format ne cessent d’augmenter », affirme Bénédicte Valton de Jorna, directrice commerciale et communication. Sur le site Drouot.com, les ventes exclusivement en ligne sont en hausse continue, passant de 606 en 2019 à 1 200 en 2022, tout comme le nombre d’inscrits aux ventes qui a doublé.
La tendance va-t-elle s’accentuer ? « Nous ne sommes pas à l’apogée de ces ventes mais plutôt sur un bon point d’équilibre », estime Philippe Lemoine, directeur général de Christie’s France. « Sotheby’s a eu un pic en 2021 avec quarante-huit ventes “online only”, mais cela ne signifie pas pour autant qu’en 2023, il y en aura plus ou moins. En termes de proportion, nous avons passé un cap et nous allons maintenir ce cap », renchérit Marie-Anne Ginoux, directrice générale de Sotheby’s France.
Au début cantonné à la vente d’objets de collection (timbres, monnaies, joaillerie, orfèvrerie…), ce canal s’est étendu depuis à d’autres catégories de biens, comme les photographies, le design, la mode, les vins, et même la bande dessinée et l’art urbain. En octobre, Artcurial a réalisé, pour la première fois en 100 % numérique une vente de livres et manuscrits ainsi qu’une vente d’art contemporain, tandis que, depuis avril, ce n’était que des ventes de vins qui étaient proposées dans ce format. Chez Sotheby’s et Christie’s, les ventes de photographies organisées en marge du salon Paris Photo sont passées en tout dématérialisé. « Pour cette catégorie, la majorité des clients préfèrent les transactions en ligne. Aussi, toutes nos ventes Monde de cette spécialité sont depuis cette année en ligne », indique Julien Pradels, directeur Monde des opérations chez Christie’s. Même chose pour la vente Maîtres anciens de novembre dernier, quand Sotheby’s a fait la bascule pour ses ventes d’arts d’Asie et d’arts d’Afrique de fin d’année. « Globalement, si nous souhaitons toucher une clientèle qui n’est pas vraiment localisée, nous opterons davantage pour une vente en ligne », explique Marie-Anne Ginoux.
Si les ventes de prestige des grandes collections ne seront pas transférées en ligne, du fait de leur caractère événementiel, aujourd’hui, toutes les catégories d’objets ont vocation à l’être – la décision se faisant au cas par cas. « L’estimation du lot entre aussi en compte, entre 1 000 et 20 000 euros [plutôt entre 1 500 et 500 000 € chez Christie’s] ou lorsque nous savons que nous n’aurons pas de monde en salle, comme dans les ventes de vins, par exemple », détaille Stéphane Aubert. « Nous avons été amenés à développer les ventes “online only” pour certains de nos clients vendeurs disposant de grands ensembles et pour des lots ne justifiant pas un catalogage », témoigne à son tour Maximilien Aguttes, directeur du développement. « C’est aussi le moyen de mettre en vente des invendus d’une vente “live”, qui parfois se vendent même à un prix plus élevé », note Bénédicte Valton de Jorna. L’objectif reste avant tout de conquérir de nouveaux publics, tout en accélérant la cadence.
Gare aux idées reçues. La réduction des coûts grâce à un tel format de vente est illusoire (à l’inverse de la suppression des catalogues papier). « On a tendance à penser que ces ventes “online” n’engendrent aucuns frais, mais c’est faux ! », lance Marie-Anne Ginoux. D’abord parce qu’elles ne sont pas dispensées d’une exposition publique (avec tout ou partie des lots) – en tout cas dans les grandes maisons –, ce qui ne baisse pas les coûts de transports, de personnel… « Au contraire, une vente “online” peut générer des coûts supérieurs à une vente physique, liés au “shooting” des pièces avec davantage de photos », affirme Philippe Lemoine.
Les plus petits opérateurs reçoivent sur rendez-vous. « Une vente de mobilier sans exposition publique préalable verra peut-être ses coûts réduits du fait, entre autres, de l’absence de transport, mais cette économie n’est pas quantifiable car immédiatement absorbée par d’autres coûts », témoigne un acteur du marché. « Les ventes “online” me coûtent plus cher que les ventes en salle », confie Pauline Rozkiewicz, commissaire-priseur chez Enchères Maisons-Laffitte, et d’ajouter : « Mais compte tenu du type d’objets (2 000 petits objets par mois), des ventes physiques seraient trop compliquées à organiser. »
Aussi, ce modèle de vente permet d’abord et surtout d’élargir le panel de clients : entre 30 % et 33 % de nouveaux acheteurs (dont 30 % à 40 % de « millénials ») chez Christie’s et environ 40 %, chez Sotheby’s, quand Interencheres les estime à 21 %. Ces données se répercutent sur le produit de vente : « Pour preuve, notre vente de bijoux totalise 10 millions d’euros depuis qu’elle est en ligne (contre 3 à 4 millions quand elle était en “live”) », rapporte Julien Pradels. « Nous sommes de plus en plus sollicités, avec toujours plus de lots à vendre. Cela nous permet de démultiplier le calendrier, chose impossible quand nous n’avions que le modèle des ventes physiques, qui elles, deviennent de plus en plus sélectives », explique Stéphane Aubert. « Depuis deux ou trois ans, nous avons 50 % de ventes en plus au total », confirme Marie-Anne Ginoux. Démultiplier le nombre de vacations et non se substituer aux ventes physiques, voilà une des clés pour faire croître son chiffre d’affaires grâce à la vente 100 % dématérialisée – à condition d’avoir les ressources humaines appropriées.
Les résultats de ces ventes ont permis de rassurer les clients, tant vendeurs qu’acheteurs. Le prix moyen a ainsi grimpé – il a doublé depuis 2019 chez Sotheby’s –, tout comme le prix d’adjudication : en juin 2021, un palier a été franchi puisque Christie’s Paris a adjugé pour 2,9 millions d’euros la Mona Lisa Hekking [voir ill.], soit un record pour une œuvre vendue en ligne en France, suivie d’un bicorne de Napoléon [voir ill] vendu 1,2 million chez Sotheby’s. Des prix impensables il y a encore trois ans.
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Le succès grandissant des ventes « online only »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°600 du 2 décembre 2022, avec le titre suivant : Le succès grandissant des ventes « online only »