Ventes aux enchères

ENTRETIEN

Jean-Pierre Osenat : « Nous sommes devenus dépendants des canaux numériques »

Commissaire-priseur

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 6 mars 2025 - 1008 mots

Le commissaire-priseur préconise de limiter les ventes en ligne et de préserver les salles de ventes et d’expositions publiques.

Jean-Pierre Osenat. © Guillaume Nedellec
Jean-Pierre Osenat.
© Guillaume Nedellec

Diplômé commissaire-priseur après avoir fait ses armes pendant quatre ans auprès de l’éminent historien d’art Maurice Rheims, Jean-Pierre Osenat fête cette année ses 50 ans de carrière. Installé depuis 1978 à Fontainebleau, où sa maison a su se tailler une réputation en matière de souvenirs napoléoniens, il dispose également d’une salle des ventes à Versailles depuis 2019 et à Paris depuis 2023. Président du Syndicat national des maisons de ventes volontaires (Symev) depuis 2011 – poste qu’il avait déjà occupé de 2003 à 2006 –, il a été maire adjoint à la culture à Fontainebleau et est membre de l’Observatoire du marché de l’art depuis 2003.

Quel regard portez-vous sur la situation actuelle du marché de l’art ?

Lorsqu’un client souhaite se séparer d’une commode acquise 10 000 euros et qu’on lui annonce qu’elle n’en vaut plus que 2 000, il en déduit que le marché de l’art traverse une crise. Or, cette appréciation est fausse. En considérant l’ensemble des spécialités, le marché connaît une croissance régulière ; il me semble plus dynamique que jamais et l’engouement pour l’art est bien présent : il suffit d’observer la foule dans les musées. Cependant, il n’est plus possible de travailler comme en 1975, quand les objets affluaient spontanément vers nous, souvent par le biais des successions ou des relations personnelles. Autrefois, les commissaires-priseurs trouvaient toujours dans les successions du mobilier du XIXe siècle, des pendules… qui alimentaient leurs ventes courantes. C’est de moins en moins le cas.

Trois ans après la promulgation de la loi de 2022, quels changements avez-vous observés ?

L’évolution la plus marquante réside dans un changement d’état d’esprit. L’ancien Conseil n’appartenait pas à l’ADN des commissaires-priseurs. Il était perçu comme une instance disciplinaire et formatrice, une sorte de juridiction distante, dont nous ne comprenions guère la fonction, et à laquelle nous n’étions pas connectés. Aujourd’hui, le Conseil des maisons de vente a opéré un tournant majeur en intégrant des commissaires-priseurs parmi ses membres, qui y apportent leur expertise et leur soutien précieux. Quant au président Édouard de Lamaze, il incarne une approche plus professionnelle et constructive. Il a pris la sage décision de réduire les cotisations et en déplaçant le siège, il a contribué à rationaliser les dépenses du Conseil.

Quelle place occupent les ventes numériques dans votre activité ?

Nous organisons chaque mois des ventes exclusivement en ligne à Chailly-en-Bière, composées de 400 à 500 lots (majoritairement de moins de 2 000 €), qui rencontrent un vif succès, avec un taux de vente à l’international proche de 70 % – une tendance nouvelle qui se concentre notamment sur les pays de l’Est. Les secteurs comme le vin ou la mode sont également concernés par ce type de ventes – un format qui représente environ 10 % de notre activité – mais je ne souhaite pas qu’elles prennent davantage d’ampleur. À mon sens, il est crucial que les commissaires-priseurs préservent leurs salles de vente et offrent des expositions publiques pour que les clients puissent voir les objets. Si tout bascule en ligne, il est concevable que les objets restent entre les mains des vendeurs, que la vente se fasse sans exposition préalable et qu’à la fin on puisse se passer de nous.
Depuis la pandémie, les plateformes de ventes aux enchères ont considérablement renforcé leur pouvoir de frappe. Il n’est pas rare de constater jusqu’à 2 000 participants inscrits en ligne, contre 40 ou 50 personnes en salle. Aujourd’hui, 60 % de nos clients participent via Internet – le reste se répartissant entre la salle et les téléphones. Aucun objet d’exception n’échappe à l’attention des plateformes, où qu’il soit dans le monde. En ce sens, nous sommes devenus dépendants de ces canaux numériques, tout comme des réseaux sociaux – à tel point que nous avons engagé un community manager à temps plein.

Pratiquez-vous des ventes de gré à gré ?

Non, cela ne fait pas partie de mon ethos, et les clients qui me le demandent sont peu nombreux. Cette pratique est davantage l’apanage des maisons anglo-saxonnes, qui disposent de logiciels CRM sophistiqués. Je suis plus intéressé de voir certaines maisons enrichir leur activité par des initiatives culturelles. J’ai toujours défendu cette idée. À Fontainebleau, mais plus encore à Versailles et Paris, nous organisons des signatures de livres, des conférences, des rencontres avec des conservateurs… Ces événements sont l’occasion d’élargir notre clientèle et cette tendance se renforce d’année en année.

Quelles évolutions souhaiteriez-vous pour la profession ?

L’élément clé réside dans la compétence, qui passe indéniablement par une formation continue de qualité. J’aimerais ainsi qu’un spécialiste vienne nous exposer les potentialités de l’intelligence artificielle dans notre domaine, sans pour autant qu’elle remplace notre expertise humaine, bien sûr.
En ce qui concerne la recherche de provenance, elle est essentielle pour les objets majeurs – il faudrait fixer un seuil – car les acheteurs ne voudront pas acquérir un bien sans avoir la certitude par exemple qu’il n’ait pas été spolié. Toutefois, il me paraît inutile d’imposer aux commissaires-priseurs de demander à leurs clients l’origine exacte de chaque objet, car dans 90 % des cas, le vendeur lui-même l’ignore. À vouloir trop bien faire, on risquerait de fragiliser un marché déjà très actif.

Comment envisagez-vous l’année en cours ?

Je ne nourris aucune inquiétude particulière à l’égard du marché de l’art. Bien que les médias rapportent des résultats moins favorables pour 2024, avec des pertes chez Christie’s et une réduction des effectifs chez Sotheby’s, en réalité, aucun recul notable n’a été observé pour les objets de moins de 10 000 euros – l’essentiel de notre fonds de commerce. Le contexte socio-économique morose aura peut-être un impact, mais je reste convaincu que l’acheteur passionné trouve toujours le moyen d’acheter. Pour les vendeurs, certains préfèrent attendre une période qu’ils imaginent meilleure, d’autres estiment qu’il est plus sage de vendre maintenant de peur que la situation ne se dégrade. Mais la vérité c’est que le marché de l’art est indépendant de la vie sociale, politique et économique et restera toujours une valeur refuge.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°650 du 28 février 2025, avec le titre suivant : Jean-Pierre Osenat, commissaire-priseur : « Nous sommes devenus dépendants des canaux numériques »

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