Jean-Gabriel Fredet est reporter. Il officie aujourd’hui à Challenges, après avoir été correspondant aux États-Unis pour le Nouvel Observateur.
La politique, l’économie, c’est son quotidien. L’art, son centre d’intérêt. Ceci explique que l’auteur en 2002 de Fabius, les brûlures d’une ambition revienne cette fois avec un livre pour le moins inattendu : Requins, caniches et autres mystificateurs. L’auteur pouvait s’en défendre lors du débat organisé durant la foire d’antiquités Brafa le 29 janvier dernier à Bruxelles, il livre là un véritable brûlot sur un aspect actuel du marché de l’art contemporain : la spéculation. « C’est un monde fou, fou, fou…, juge ainsi l’auteur en introduction à son enquête, où des financiers et des entrepreneurs riches à milliards payent 15 millions de dollars pour un cow-boy qui fait de son sperme un lasso (My Lonesome Cowboy, de Takashi Murakami) ! Ou 20 millions pour un requin plongé dans le formol (The Shark, de Damien Hirst), ou encore 58 millions pour un chien en acier inoxydable imitant une baudruche (Balloon Dog, de Jeff Koons) ! » Dit comme ça, en effet, cela semble bien « fou, fou, fou… ». C’est d’ailleurs cette dernière « œuvre » qui a été choisie pour illustrer la couverture du livre. Car qui mieux que Jeff Koons, cet « autre mystificateur » rattrapé depuis par une vilaine polémique à propos de son Bouquet of Tulips « généreusement » offert au peuple de France, pouvait incarner cet art de la spéculation ? Hirst ? Murakami ? Cattelan ? Kapoor ? Et pourquoi pas un « méga » marchand d’art comme Emmanuel Perrotin ou Larry Gagosian, dont le premier chapitre du livre retrace une journée dans la vie d’art dealer ? Voire l’un de ces collectionneurs milliardaires qui semblent faire la pluie et le beau temps, à l’instar d’Eli Broad, Charles Saatchi ou François Pinault ? Car c’est de ce petit monde dont il s’agit ici, une poignée d’hommes en réalité – il y a peu de femmes –, qui ne sont pas représentatifs du marché de l’art contemporain dans son ensemble, mais de l’un de ses aspects.
Requins, caniches et autres mystificateurs raconte cette structure de marché, en s’appuyant sur une enquête extrêmement bien documentée, qui emmène son lecteur de la galerie de Gagosian à Abou Dhabi, en passant par la Tate Modern, le Louvre, les salles de ventes en Chine (dont Poly, première maison d’enchères et propriété de l’armée) et toutes ces villes où s’ouvrent chaque jour de nouveaux musées privés d’art contemporain. Chose rare dans l’approche journalistique de l’art, Jean-Gabriel Fredet n’a pas peur des chiffres ni des stratégies de marché – l’auteur connaît sa loi des « 4P » : produit, prix, promotion et place/distribution –, ce qui aboutit non pas à une enquête à charge, mais à une analyse sans fard d’un phénomène devenu international, qui dépasse en réalité le seul marché de l’art, où tout le monde en prend pour son grade : la France (à qui il manque « une forte personnalité capable de marquer la scène internationale »), les Qataris, les nouveaux milliardaires chinois, les oligarques russes, bref, tous ceux que « personne, naguère, n’aurait pu placer sur un planisphère » et qui ont aujourd’hui « dopé les prix ». Démontant ces stratégies et les coups de billard à trois bandes fomentés par quelques art dealers, art advisors, art flippers, collectionneurs et autres specullectors (terme forgé par Saatchi), Fredet éclaire d’un violent coup de projecteur un certain monde de l’art qui « cultive le mystère et déteste la transparence ».
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Une enquête sans fard sur un certain monde de l’art
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°710 du 1 mars 2018, avec le titre suivant : Une enquête sans fard sur un certain monde de l’art