600 numéros du JdA au plus près de l’actualité de l’art

Le premier numéro du Journal des Arts paraît en kiosque en mars 1994 et se distingue d’un premier coup d’œil des magazines d’art de l’époque : format journal tabloïd, densité du texte, articles qui courent sur plusieurs pages, illustrations en noir et blanc. La parenté avec Le Monde est assumée bien qu’il soit mensuel. La pagination comporte 48 pages, plus un cahier des expositions dans les musées qui perdurera sous différentes formes jusqu’en 2017, lorsque son utilité est moindre face à Internet. Le JdA– comme les lecteurs commencent à l’appeler familièrement – est issu d’un partenariat avec The Art Newspaper et Il Giornale dell’Arte avec lesquels ils partagent des articles et les régies publicitaires. Le partenariat prospère jusqu’au changement d’actionnaires en 2014 du Art Newspaper.

L’ADN du JdA s’inscrit dans ses gènes dès ce premier numéro. L’actualité des musées et du patrimoine en premier lieu, avec une enquête sur le Musée Condé de Chantilly (intitulée « Le chant du cygne »), les débuts de la loi musée dont le JdA suivra toutes les étapes jusqu’à son adoption en 2022 et l’incendie du parlement de Rennes. Mais aussi une rubrique entière consacrée au marché de l’art : Tefaf de Maastricht (« Plus grand, plus fort, plus beau »), les petites nouvelles de la profession (Tajan et Ader se séparent) et un tour des galeries à Paris, New York et Londres. L’international est en effet très présent et ne cessera de l’être avec, à partir des années 2010, la constitution d’un réseau de correspondants à l’étranger permettant d’apporter des informations plus adaptées aux lecteurs français. Le tout pour 30 francs de l’époque, soit 6,6 euros courants, alors qu’aujourd’hui le prix est inférieur (5,90 €) et n’a pas suivi le coût de la vie ni les envolées successives du prix du papier.

Trois ans après sa création, le JdA devient bimensuel (« un vendredi sur deux »). « Le rythme mensuel ne nous permet pas de suivre l’actualité d’assez près », explique l'éditeur. Il est vrai que l’actualité de l’art et de son marché ne cesse de prendre de l’ampleur. Dans ce numéro et les précédents, le JdA rapporte la fuite des collectionneurs britanniques résidant à Hongkong alors que la ville s’apprête à être rétrocédée à la Chine, les projets de reconstruction de la Fenice de Venise après son incendie criminel ou la fronde de plusieurs galeristes contre les organisateurs de la Fiac à qui ils reprochent son manque de dynamisme. Le JdA a également publié son premier dossier sur une ville (Bordeaux) qui sera suivi de nombreux autres. Les Villes ont bien compris le levier que peut constituer la culture pour leur développement, à l’instar de Bilbao qui s’apprête alors à inaugurer la fameuse antenne du Guggenheim. La maquette du JdA s’assagit quelque peu et la couleur fait timidement son apparition.

Le passage à l’an 2000 marque une étape importante pour le JdA et les sujets qu’il couvre. En juin, son éditeur, qui a entre-temps racheté le magazine L’Œil, cède le contrôle de l’entreprise à une start-up Internet, Nart, qui veut se développer dans les ventes aux enchères naissantes sur le Net. C’est le Centre Pompidou qui ouvre le bal des réouvertures ou des nouveaux musées du millénaire, suivi quelques semaines plus tard par la Tate Modern de Londres. En France, les débats sur la création d’un grand musée des arts premiers voulu par Jacques Chirac s’échauffent tandis qu’une importante loi sur l’archéologie préventive est adoptée par le Parlement. Les grandes manœuvres dans les maisons de ventes ont commencé dans la perspective de la fin du monopole des commissaires-priseurs (2001), François Pinault avait dégainé le premier en lançant une OPA sur Christie’s en 1998 tandis que Bernard Arnault rachète Phillips et Tajan avant de s’en défaire quelque temps plus tard.

Après l’échec de Nart, le JdA et L’Œil changent de nouveau d’actionnaire en 2002 au profit de la société Artclair détenue principalement par l’auteur de ces lignes. Les attentats du 11 septembre 2001, qui ouvrent une nouvelle ère géostratégique, ne dissuadent pas Art Basel de créer avec succès une foire à Miami renforçant le poids grandissant des foires et le mouvement de concentration des galeries. En France, Roubaix inaugure son Musée d’art moderne dans une piscine désaffectée, qui rencontre immédiatement un grand succès ainsi que le Palais de Tokyo qui accueille un centre d’art qui manquait à Paris. C’est aussi à cette époque qu’ouvre le tant attendu Institut d’histoire de l’art. L’année précédente, le JdA avait largement couvert les élections municipales parisiennes remportées par Bertrand Delanoë, un intérêt pour la politique culturelle qui ne cessera de se renforcer au fil des campagnes électorales.

À l’automne 2003, le JdA offre une nouvelle formule à ses lecteurs, plus conforme au graphisme du moment. Si les sujets sont les mêmes, le déroulé du journal est modifié, le traitement de l’actualité mieux hiérarchisé, la mise en page est plus aérée et un éditorial fait (enfin) son apparition. Symbole de cette modernisation, la nouvelle typographie du logo. Le n° 180 fait sa « Une » sur la foire Paris Photo qui s’est imposée tout en haut des salons de photographie. Créée en 1996 par Rik Gadella, la foire est rachetée en 2006 par Reed Exhibitions, l’organisateur de la Fiac qui vient de se tenir. Le JdA titre « Une Fiac trop vite enterrée ».

L’actualité importante de cette année est le vote de la loi sur le mécénat dite loi Aillagon. Le ministre s’en fait l’écho dans un entretien au JdA dans lequel il évoque également une tendance qui va se renforcer : l’autonomisation des grands musées qui entraîne un affaiblissement symétrique de la Réunion des musées nationaux (RMN). L’établissement public va sortir progressivement de la crise qui le secoue depuis de longues années et trouver un point d’équilibre par la fusion avec le Grand Palais. Équilibre fragile toutefois, car l’édifice a été fermé pour travaux entre 1993 et 2005, et l’est de nouveau depuis 2021 avec, à chaque fois, des coûts considérables. L’année suivante, le JdA consacre un grand dossier aux dix nouveaux pays qui rejoignent l’Union européenne.

Quinze jours après avoir célébré son 200e numéro, le JdA publie le premier palmarès des musées reposant sur un ensemble de critères à la fois quantitatifs (nombre de visiteurs payants, nombre d’œuvres), qualitatifs et scientifiques (œuvres récolées, expositions itinérantes…). Au fil des quatorze éditions, le questionnaire prend de l’épaisseur livrant une appréciation plus fine de l’activité des musées. Le palmarès s’est arrêté en 2018 en raison de la grogne de certains musées insatisfaits de leur classement. Un palmarès où aurait pu figurer la collection Pinault, si l’homme d’affaires n’avait pas renoncé à sa fondation sur l’île Seguin face aux lenteurs administratives, se consolant en s’installant au Palazzo Grassi à Venise, et à la Pointe de la Douane en 2007. Entre-temps, Bernard Arnault annonce la construction du bâtiment de la Fondation Louis Vuitton dans le Bois de Boulogne qui sera inauguré en octobre 2014. À New York, le MoMA a réouvert en novembre 2004 après deux ans et demi de travaux d’extension pour un coût pharaonique de 665 millions d’euros. Le JdA se fait l’écho d’un possible « Louvre à Atlanta », c’est-à-dire des prêts d’œuvres du Louvre de longue durée contre la somme de 10 millions de dollars. La polémique ne fait que commencer, apparaissant aujourd’hui d’un autre temps.

Les pays occidentaux n’ont plus le monopole des musées. Tandis que la Chine en construit de plus en plus, au fur et à mesure que son PIB progresse, les pétromonarchies de la péninsule arabique préparent activement l’après-pétrole en développant une offre culturelle susceptible d’attirer les touristes. C’est d’abord le Qatar qui inaugure cette année son musée d’art islamique et, onze ans plus tard, son musée national. Mais ce sont les Émirats arabes unis qui remportent la mise médiatique avec l’annonce de la construction d’un quartier des musées. Après de nombreuses péripéties, le Louvre Abu Dhabi est finalement inauguré en 2017, tandis que les autres musées ne cessent d’être retardés. L’accord avec le Louvre et les contreparties financières, a fait couler beaucoup d’encre, au moment de l’annonce en 2007. Depuis, l’Arabie saoudite met les bouchées doubles pour développer son offre culturelle sur le site archéologique d’AL Ula. À Paris, s’ouvrent la Cité nationale de l’histoire de l’immigration et la Cité de l’architecture et du patrimoine.

C’est une autre antenne du Louvre, plus modeste que celle d’Abu Dhabi, mais tout aussi importante symboliquement, à qui le JdA consacre sa « Une » : le Louvre-Lens qui ouvre dans l’ancien bassin minier en pleine crise. Il fait suite, deux ans plus tôt, à l’inauguration du Centre Pompidou-Metz. À ces deux ouvertures, répond la fin de la Maison de l’histoire de France qui n’a pas résisté à l’alternance politique. Trois ans plus tôt, alors que l’hôtel Drouot est secoué par la crise des vols des « cols rouges », c’est un tremblement de terre autrement plus grave qui détruit de nombreux sites patrimoniaux dans les Abruzzes en Italie. Sur le plan sociétal, une petite révolution se met en marche avec la redécouverte des artistes femmes, dont l’exposition « elles@centrepompidou » est l’un des épisodes.
Le JdA publie la première édition d’Artindex, le classement des artistes contemporains selon leur nombre et l’importance des lieux où ils exposent. Parmi ceux qui ont occupé la première place : Kader Attia, Anri Sala…

Le JdA modernise une nouvelle fois sa maquette pour s’adapter aux nouvelles habitudes de lecture, formatées par Internet et les réseaux sociaux : saisir plus rapidement l’information essentielle et mieux s’articuler avec le site Internet du JdA à l’audience en pleine expansion. L’actualité de l’art et de son marché va de plus en plus vite : les remous provoqués par la collection Gurlitt en Allemagne témoignent de la sensibilité du public aux œuvres volées pendant la Seconde Guerre mondiale ; les (ré)ouvertures de musées s’accélèrent (Musée de l’homme à Paris, Musée Soulages à Rodez, Musées des Confluences à Lyon…) ; l’affaire à rebondissements du Salvator Mundi attribué (mais est-ce si sûr ?) à Léonard de Vinci.
La nouvelle formule coïncide avec la campagne pour l’élection présidentielle française pour laquelle le JdAétablit un tableau comparatif des promesses dans le domaine culturel. Une campagne encore marquée par les attentats du 13 novembre à Paris et la montée des préoccupations écologiques qui commencent à infuser dans la création.

L’inimaginable s’est produit : un virus venu de Chine met en quarantaine une bonne partie de la planète avec des conséquences sanitaires, économiques et humaines sans précédent. Les lieux culturels ne sont évidemment pas épargnés. La France dépense des milliards (le « quoiqu’il en coûte ») pour maintenir à flot les entreprises et les indépendants, dont profite largement le secteur culturel. Les confinements successifs accélèrent l’utilisation du numérique, dont la spéculation sur les cryptomonnaies et les NFT est l’un des avatars. Jamais les crises n’auront été aussi graves et rapprochées – crise écologique, incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, Covid-19, guerre en Ukraine – et jamais les mutations sociologiques aussi profondes – enjeux de diversité et ses excès (la « cancel culture »), #Metoo, restitution (rapport « Sarr-Savoye »)… Autant de crises et d’enjeux avec de fortes conséquences sur la culture qui justifient encore plus la lecture quotidienne (sur le site) et tous les quinze jours du Journal des Arts.