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ENTRETIEN avec Gabriela et Mathieu Sismann, spécialistes en sculpture européenne

Noces de perles pour la Galerie Sismann

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 18 juin 2024 - 816 mots

Les marchands reviennent sur leur parcours et expliquent comment ils travaillent en couple.

Gabriela et Mathieu Sismann. © Christophe Fouin.
Gabriela et Mathieu Sismann.
© Christophe Fouin

Paris. Rares sont les couples de marchands qui perdurent dans ce milieu. Mais apparemment, Gabriela et Mathieu Sismann ont trouvé la recette ! Spécialisés en sculpture européenne du Moyen Âge jusqu’au XVIIIe siècle, ils fêtent ainsi les 30 ans de leur galerie. Pour l’occasion, ils ont organisé une exposition sur le thème du « désir » – ce désir qui les anime de poursuivre leur aventure ensemble.

Quelle est l’histoire de votre galerie ?

Gabriela Sismann : En juin 1994, nous avons ouvert notre premier stand aux Puces, au marché Paul Bert, avant de nous installer un an plus tard au Louvre des antiquaires. En 2009, nous avons investi le Carré Rive Gauche, rue de Beaune et depuis 2019, nous sommes quai Voltaire.
Mathieu Sismann : Dès le début, nous étions spécialisés dans la sculpture européenne, mais nous avions aussi des objets d’art. Nous avons resserré de plus en plus autour de la sculpture, du Moyen Âge jusqu’au XVIIIe siècle, avec une prédilection pour le Moyen Âge et la Renaissance.
Gabriela : C’est la sculpture qui synthétise, plus que les objets, qui nous sommes. Et c’est aussi dans ce domaine que nous nous exprimons le mieux, à travers le questionnement intellectuel, mais aussi esthétique et spirituel.

Peu de marchands travaillent en couple. Comment fonctionnez-vous ?

Mathieu : Nous sommes assez complémentaires. Gabriela est davantage accès sur la Renaissance italienne et moi sur le Moyen Âge français et allemand. Le Baroque est ce qui nous réunit.
Pour arriver à travailler en couple, il faut se répartir les tâches, mais il y a certaines choses que nous faisons ensemble. Par exemple, pour un salon, nous choisissons les pièces ensemble ainsi que la scénographie. Nous n’avons pas besoin d’être d’accord pour acheter une pièce, sauf les pièces importantes.
Gabriela : Pour schématiser, Mathieu est plus à la chine et moi, je suis davantage à la recherche, ce qui ne l’empêche pas de faire des recherches tout le temps et moi, de feuilleter les catalogues de vente et d’aller sur les foires. Mais je le dirai toujours, l’œil, c’est Mathieu. Tout ce qui concerne la communication, Internet et les réseaux sociaux, c’est moi. J’ai compris très vite qu’il fallait qu’on devienne une marque.

Comment se porte le marché de la sculpture ancienne ?

Gabriela : Nous ne sommes pas représentatifs car nous sommes dans une micro-niche de haut de gamme, de pièces muséales.
Mathieu : En tout cas, ce que nous partageons avec nos confrères du marché de l’ancien, c’est que le fossé se creuse de plus en plus entre le marché des clients très fortunés et le marché courant et que, à ce niveau, il n’y a plus personne. Aujourd’hui, c’est aussi difficile de vendre une petite pièce à 2 ou 3 000 euros qu’une pièce à plusieurs centaines de milliers d’euros. L’armada de professions libérales de nos débuts a totalement disparu.
Gabriela : On touche un sujet sociétal qui est le désintérêt, voire le mépris de la culture, auquel nous sommes confrontés. Auparavant, posséder une œuvre d’art était un signe ostentatoire alors qu’aujourd’hui, c’est la consommation immédiate.
Mathieu : Autant, dans les années 70, le bien culturel était une forme de reconnaissance sociale, autant aujourd’hui, cela passe par d’autres codes (des marques, des produits…). Désormais, les gens achètent pour eux-mêmes et sûrement pas pour une représentation sociale.

Quelles sont les sculptures les plus appréciées ?

Gabriela et Mathieu : La figure du Christ et les Vierges à l’Enfant. Cela a beaucoup changé : sur nos premiers salons, on nous traitait de « dépouilleurs d’églises ». Maintenant, il n’y a plus aucun contexte religieux. C’est juste une image.

Qui sont vos collectionneurs ?

Mathieu : Des collectionneurs privés et des institutions – essentiellement européens, avec 10 à 20 % d’Américains – mais la frontière entre les deux tend à devenir floue, parce qu’une partie des collectionneurs fondent leur propre institution. Aussi, notre activité avec les institutions et les musées est de plus en plus importante.

Quel est le thème de votre exposition anniversaire ?

Mathieu : Le désir. Nous voulions fêter notre paradoxe, c’est-à-dire comment fait-on pour travailler ensemble ? Nous avons toujours le désir ! ... d’être ensemble, de travailler ensemble, de trouver de nouvelles voies ensemble.
Gabriela : Nous voulons continuer de croire ensemble à notre fonction, à notre rôle de passeur. Ça, c’est plus fort que jamais. Et on a le même désir de transmettre le goût de connaître, de comprendre. D’ailleurs, comprendre est notre premier stimulateur. Comprendre nos pièces, tant intellectuellement qu’artistiquement et émotionnellement.

Quelle œuvre illustre le mieux ce thème ?

Gabriela : Andromède. Le sujet n’est pas très #MeToo – elle est sacrifiée et enchaînée nue à un rocher – mais jamais nous ne politiserons notre discours artistique. Nous n’allons pas contemporanéiser notre pensée parce que c’est politiquement correct.
Mathieu : C’est une pièce du Baroque allemand, d’une sensualité incroyable et très ambiguë : attachée à cet arbre – elle sera délivrée par Persée – on ne sait pas si elle souffre ou si c’est l’extase.

« 30 ans de désir »,
jusqu’au 4 juillet, Galerie Sismann, 33, quai Voltaire, Paris 7e, www.galerie-sismann.com

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°635 du 7 juin 2024, avec le titre suivant : Gabriela et Mathieu Sismann, spécialistes en sculpture européenne : Noces de perles pour la Galerie Sismann

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