Le marché de la Haute époque, qui s’étend de l’art roman à l’art renaissant, trouve un regain d’intérêt en Europe, aux États-Unis et en Amérique latine. S’il n’existe plus de grandes collections depuis le XIXe siècle, de nouveaux amateurs sont apparus qui privilégient le mélange des genres. Ce marché, stable, échappe à l’inflation car les prix dépendent essentiellement de la qualité des objets. Ainsi, des restaurations abusives pratiquées au siècle dernier sont à l’origine de décotes. En outre, le manque de pièces, de prestige en particulier, en fait un marché étroit.
Depuis 1930, le gothique étant passé de mode en Europe, les grands collectionneurs de Haute époque se sont raréfiés, et la dernière grande vente à Paris, celle de la famille Spitzer, date d’avant-guerre. Le marché dit de la Haute époque, terme utilisé par des spécialistes du Moyen Âge pour désigner les arts européens depuis Byzance jusqu’à la Renaissance, voire jusqu’à Louis XIII, est à présent restreint, calme et discret. Peu nombreux sont les spécialistes, marchands ou experts, en Europe : une dizaine à Paris, qui est la place dominante pour ce marché. “Je ne fais plus beaucoup de Haute époque. Il est difficile de trouver des objets de qualité. Il y a cinq ans, c’était différent”, reconnaît le marchand bruxellois Michel Koenig. L’étroitesse de ce marché tient compte des destructions massives qui ont eu lieu au cours des siècles passés. “Il reste environ 15 % de la production de sculptures de tout le Moyen Âge”, explique l’antiquaire Gilles Bresset, qui demeure persuadé que “l’existence de fonds familiaux d’œuvres qui sont absentes du marché depuis un quart de siècle ne fait qu’aggraver cette pénurie”. “C’est un commerce un peu confidentiel dans lequel la marchandise circule peu. Les collectionneurs, qui sont des gens passionnés, achètent et conservent. Il n’y a pas de spéculation”, confirme l’expert Bruno Perrier. L’appauvrissement du marché explique aussi que la tenue de ventes aux enchères spécialisées soit peu fréquente. Le commissaire-priseur Jacques Tajan est le plus actif avec deux ventes annuelles (en novembre et en juin) et, ponctuellement, l’étude Piasa organise une vacation Haute époque.
Moins de collectionneurs, plus d’amateurs
Difficile d’accès, les arts de la Haute époque supposent une connaissance de la part des acheteurs. “C’est une culture difficile à comprendre. Le côté religieux des objets fait peur. Or, il faut savoir lire l’œuvre sans se préoccuper du sujet”, admet Philippe Carlier, de la galerie Brimo de Laroussilhe. Les collectionneurs du XIXe siècle – de grandes familles juives ou protestantes – avaient fait abstraction de l’aspect chrétien des œuvres. Aujourd’hui, les acheteurs sont plutôt des passionnés d’émaux, d’ivoires ou de ferronnerie, des amateurs éclairés désireux d’acquérir quelques objets d’une période déterminée, du début ou de la fin du Moyen Âge, ou bien des acheteurs occasionnels qui ne veulent qu’une seule pièce (meuble ou sculpture) pour l’intégrer dans un décor contemporain. “La mode de la reconstitution moyenâgeuse est terminée. La Haute époque s’apprécie dans n’importe quelle ambiance aujourd’hui”, affirme l’expert Jean Roudillon. “Le marché est équilibré. Rares sont les belles pièces, comme les grands collectionneurs. Quand une belle marchandise arrive, elle trouve immédiatement preneur. En revanche, il y a un peu de tout à tous les prix pour les petits collectionneurs, très présents aujourd’hui”, constate le marchand Gabrielle Laroche. Les amateurs de Haute époque sont des Européens du Nord – France, Belgique, Allemagne, Pays-Bas et Grande-Bretagne –, mais également des Espagnols et des Italiens pour l’art de la Renaissance. L’Amérique du Sud et les États-Unis s’y intéressent de façon accrue. Plus seulement du côté de New York et de la côte Est : depuis un ou deux ans, la Californie et la Floride ont retrouvé un goût rustique de tradition espagnole pour le haut Moyen Âge. Quant aux institutions et aux musées, nationaux ou régionaux, en Europe ou ailleurs, ils représentent une part non négligeable de la clientèle des marchands. Philippe Carlier estime que ses transactions avec les musées – dont le Louvre et le Musée de Cluny – occupent 75 % de son activité.
Les pièces recherchées, les prix
Pour l’art statuaire, les œuvres les plus convoitées restent les Vierge à l’Enfant en bois, en pierre ou en marbre, et une belle Vierge se négocie en moyenne 300 000 francs. À 25 000 francs, elle sera de qualité inférieure. Dans un autre registre, les tapisseries les plus prisées sont les mille fleurs, les feuilles de chou et les scène de chasse, de bataille ou de cour, qui se vendent entre 800 000 francs à plusieurs millions. Elles s’adressent à une clientèle très haut de gamme. Bernard Blondeel, qui est spécialisé dans ce domaine, avoue que “de tout temps, les tapisseries ont été faites pour les grands de ce monde”. Pour le mobilier, une grande table monastique, complète et en bon état, est une pièce rare dont le coût oscille entre 300 000 et 800 000 francs, un beau cabinet de la Renaissance valant environ 300 000 francs. Enfin, les chaises et les coffres du XVe siècle ainsi que les sièges garnis et les tables extensibles du XVIe sont à la portée des collectionneurs plus modestes, à moins de 100 000 francs, et sont en général mieux conservés que les meubles importants.
État de conservation et restaurations
Sur ce marché, l’état de conservation d’une œuvre est essentiel. Or, le goût soudain pour la Haute époque au XIXe siècle a donné lieu à des restaurations excessives dont certaines sont irréversibles – une tapisserie repeinte ou une statue resculptée – et dévaluent à jamais les pièces. En règle générale, des restaurations sont nécessaires car ces objets ont beaucoup vécu. Nicole de Pazzis-Chevalier, de la galerie Chevalier, rappelle que “les tapisseries sont de vieilles dames”. Mais seules sont admises les restaurations d’entretien ou d’usage qui n’influent pas sur la cote des objets. S’il est acceptable, par exemple, de réparer le pied cassé d’une chaise, il est inadmissible de remplacer un élément manquant ou abîmé comme le plateau d’une table, la façade sculptée d’un coffre ou de poser une serrure absente. Dans l’art statuaire, un nettoyage est de rigueur : il consiste en un décapage des couches successives pour retrouver la polychromie d’origine. En revanche, remplacer un membre manquant est exclu. Pour le mobilier, il y a deux cas de restaurations abusives : un meuble dont une partie majeure aurait été remplacée ou transformée, ou un meuble entièrement assemblé d’éléments anciens qui, bien qu’ils soient d’époque, ne donnent pas au meuble un caractère d’époque. “Un buffet du XVIIe siècle vaut 300 000 francs. Le même avec un fond refait vaut 30 000 francs. Je n’en veux pas dans ma boutique. Pour moi, ce n’est plus de la Haute époque, c’est de la déco”, lance l’antiquaire parisien Camille Burgi. La valeur relative de tels meubles – dix fois moins coûteux – qui apparaissent parfois sur le marché séduira peut-être le collectionneur, mais que cela soit en connaissance de cause.
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Un marché calme et discret
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°71 du 20 novembre 1998, avec le titre suivant : Un marché calme et discret