Les modifications récentes apportées dans le droit des contrats ont des répercussions dans le marché de l’art. Elles renforcent notamment les droits de la partie la plus faible dans la relation contractuelle et prennent en compte la jurisprudence sur le contenu du devoir d’information. Une innovation importante concerne par ailleurs la nullité « consensuelle ».
PARIS - L’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations constitue une première étape vers une profonde réécriture du Code civil, dont la majeure partie des dispositions demeurent inchangées depuis son adoption en 1804. La seconde étape a été annoncée fin avril, lors de la présentation de l’avant-projet de réforme du droit de la responsabilité. La présente réforme s’imposait pour mettre en adéquation les règles fondamentales du droit civil – créées lors des prémices de la société industrielle –, avec les enjeux de la société contemporaine. Une telle volonté se reflète dans le déplacement opéré du centre de gravité du droit des contrats vers une plus grande attention portée à l’intérêt général, à l’ordre public et à la protection de la partie réputée faible dans une relation contractuelle. Le droit de la consommation, le droit du travail et le droit du marché de l’art s’en étaient déjà fait l’écho.
À ce titre, les dispositions spéciales du Code de commerce relatives aux ventes aux enchères publiques et le décret dit « Marcus » du 3 mars 1981, applicable aux relations contractuelles issues tant d’une vente aux enchères que d’une vente de gré à gré, combattaient déjà le phénomène de l’asymétrie d’information qui peut présider dans le domaine du marché de l’art. Dans ce marché, de très nombreux contrats ont vocation à être mobilisés pour assurer la circulation des œuvres et des objets : contrat de vente, de mandat, de commission, de dépôt, d’entreprise, etc. Les parties prenantes sont également marquées du sceau de la diversité : intermédiaire professionnel – commissaire-priseur ou galeriste par exemple –, vendeurs et acquéreurs professionnels ou profanes. Quant au renouvellement des modalités de passation de ces contrats, lié au fort développement du recours à Internet, il est aussi pris en considération par l’ordonnance qui réforme les modalités de passation des contrats par voie électronique.
Une protection accrue de la partie faible
Deux lignes directrices peuvent être dégagées dans l’impact immédiat de la réforme sur les ventes réalisées au sein du marché de l’art. Au stade de la préparation de la vente, un renforcement des obligations existantes s’opère, tandis qu’au stade des conséquences de la vente peuvent être relevées certaines consécrations jurisprudentielles et innovations juridiques. Le nouveau droit des obligations consacre ainsi une protection accrue de la partie faible au contrat par un encadrement renouvelé de la représentation et de la violence commise sur une personne dite « dépendante ».
La dépendance concernée n’est pas spécifiquement qualifiée : elle peut être économique, physiologique, psychologique, voire sociale. Il reviendra alors à la jurisprudence le soin de délimiter le vaste champ des possibles. Quant à la violence exercée sur une personne dépendante, le droit légiféré consacre l’extension du mécanisme à la violence économique et à la dépendance des personnes physiques en situation de faiblesse. Les acteurs du marché de l’art devront alors être particulièrement vigilants sur le respect de la volonté de leur mandant ou du représentant de leur mandant. Et l’impératif de bonne foi, autonomisé au sein du nouvel article 1104 du Code civil, est désormais d’ordre public, empêchant dès lors tout aménagement contractuel au profit de la partie forte du contrat.
Devoir d’information et vice de consentement
Pareillement, la réforme consacre de manière autonome un devoir d’information à l’article 1112-1 nouveau, qui reprend les principaux acquis de la jurisprudence. Seule l’information déterminante, c’est-à-dire pertinente, est prise en considération, en raison de son influence sur le consentement des parties. Ainsi en est-il des frais à la charge de l’acheteur ou encore du renversement contractuel de la charge du droit de suite, qui ne constituent pas des informations emportant détermination du consentement, à la différence des qualités essentielles, mais uniquement des informations influençant le consentement des enchérisseurs. Lorsqu’une information déterminante du consentement n’a pas été délivrée, la sanction sera à rechercher dans les vices du consentement. Par ailleurs, « les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir ». Une correspondance avec le régime de la vente aux enchères publiques peut être soulignée. En effet, l’article L. 321-17 du Code de commerce interdit les clauses visant à limiter ou à écarter la responsabilité des opérateurs. La limitation du devoir d’information entre dans un tel champ d’interdiction.
En ce qui a trait aux vices du consentement, l’article 1130 nouveau du Code civil conserve la trilogie romaine dont le Code civil napoléonien avait repris la structure. Mais l’erreur, le dol et la violence doivent être appréciés « eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné ». Il existe donc des degrés dans la nocivité des vices du consentement et tous ne sont pas des causes de nullité. La qualité de professionnel entre directement en ligne de compte, sans qu’elle constitue pour autant systématiquement une cause de rejet de l’action.
L’erreur
Au cœur des contentieux du marché de l’art, seule l’erreur s’impose comme principale cause de nullité. Sa définition est renouvelée aux termes de l’article 1132 nouveau avec l’abandon de toute référence à la substance au profit des « qualités essentielles » entrées dans le champ contractuel. En matière de vente aux enchères publiques, le caractère exprès de la qualité est directement attaché à la rédaction du catalogue de vente. Cependant, pour les ventes non cataloguées, il sera possible de se rattacher aux qualités tacitement convenues, par exemple. Les solutions jurisprudentielles relatives à l’erreur sur sa propre prestation (arrêt « Poussin » du 22 février 1978) et à l’aléa (arrêts « Fragonard » du 24 mars 1987 et « Autoportrait de Monet » du 28 mars 2008) sont légalement consacrées. À ce titre, c’est bien « l’acceptation » de l’aléa qui importe, davantage que sa simple existence. Enfin, l’indifférence de l’erreur sur la valeur demeure.
Nullité consensuelle
La véritable innovation, directement attachée aux vices du consentement, est à rechercher au sein de l’article 1178 nouveau du Code civil. En effet, outre la nullité judiciairement prononcée, cet article offre désormais aux parties à un contrat la possibilité de constater d’un commun accord une telle nullité pour erreur sur les qualités essentielles. Cette nullité dite « consensuelle » poursuit l’objectif d’éviter les contentieux inutiles et offre donc aux parties à un contrat de vente la faculté de l’annuler d’un commun accord pour déterminer de concert les nouvelles modalités de leurs relations.
L’entrée en vigueur de l’ordonnance au 1er octobre 2016 renforce, plus qu’elle ne bouleverse, les obligations attachées aux contrats conclus dans le domaine du marché de l’art. Ce phénomène s’explique par l’adaptation des règles spéciales qui ont été adoptées, notamment dans le cadre de la réglementation des ventes aux enchères publiques, aux préoccupations contemporaines du droit.
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L’impact de la réforme du droit des obligations sur le marché de l’art
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Abonnez-vous dès 1 €Jean Honoré Fragonard, Le Verrou, vers 1777, huile sur toile, 74 x 94 cm, Musée du Louvre, Paris. © Musée du Louvre.
L'affaire "du Verrou" débuta lors de la vente du tableau au Louvre par François Heim en 1969 comme une oeuvre authentique de Fragonard alors qu'il l'avait acquise en vente aux enchères publiques comme "attribuée à" trente-six ans auparavant. Les héritiers du précédent propriétaire, Jean André Vincent, demandèrent la nullité de la première vente sans succès, "l'aléa chassant l'erreur".
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°464 du 30 septembre 2016, avec le titre suivant : L’impact de la réforme du droit des obligations sur le marché de l’art