Bien que dépourvus de statut juridique, les experts intervenant auprès des opérateurs de ventes volontaires ou en appui auprès des magistrats offrent des garanties réelles aux acteurs du marché.
L’épée de Damoclès de la responsabilité aiguille tout expert. Face à un vendeur ou à un adjudicataire mécontent, le risque engendré par une expertise défaillante, une formulation trop ambitieuse ou une fiche descriptive trop détaillée est bien réel. Mais la quasi-automaticité de la responsabilité de l’expert et sa soumission à une garantie intégrale des dommages-intérêts, au profit de l’opérateur de ventes volontaires, constituent un phénomène assez récent. Et si n’importe qui peut revêtir les atours du titre d’expert, le simple rejet formel de cet attribut ne permet nullement de s’exonérer de toute responsabilité. La définition de l’expert est fonctionnelle. En conséquence, la garantie d’authenticité apportée, et cela quelle que soit sa forme, entraîne corrélativement la responsabilité de son auteur en cas d’erreur. Ainsi, un historien engagera sa responsabilité même s’il réfute sa qualité d’expert, dès lors qu’il a établi un certificat d’authenticité ou qu’il est intervenu dans la description d’une œuvre. L’absence de réglementation joue au profit des victimes des errements de l’expert.
Rares étaient les experts qui, du XVIIIe siècle au XIXe siècle, garantissaient expressément l’authenticité des œuvres au sein des catalogues de vente qu’ils rédigeaient. Or, ce n’était qu’en présence d’une clause expresse de garantie que les tribunaux acceptaient la nullité des ventes pour défaut d’authenticité et la responsabilité de l’intermédiaire jusqu’à la fin du XIXe siècle. À cette époque favorable aux intermédiaires a cependant succédé une conception renouvelée de l’erreur, soit une conception subjective in concreto, qui rayonne encore. Ce qui importe, ce ne sont plus les attentes d’un individu standard par rapport à l’objet vendu, soit une analyse selon l’opinion commune ou in abstracto, mais bien l’état d’esprit de l’errans, soit de la partie induite en erreur. L’attribution devient une cause déterminante de la volonté des parties, l’authenticité une qualité entrée dans le champ contractuel dès lors qu’elle est inscrite au sein du catalogue. Et l’objectivation des qualités attendues par le recours au catalogue participe au constant mouvement de la quasi-automaticité de la nullité, lorsque la mention portée dans ce document à valeur contractuelle se révèle erronée au regard de la réalité judiciairement constatée. De l’exigence d’une garantie explicite d’authenticité au XIXe siècle à la reconnaissance d’une garantie implicite d’authenticité au XXe siècle, une révolution s’est opérée sur le marché de l’art.
Régime de responsabilité
L’adoption du décret dit « Marcus » du 3 mars 1981 a fortement contribué à cette révolution. Ce décret institue un vocabulaire dont la signification emporte un caractère obligatoire, tant pour les tribunaux que pour les intermédiaires. Des normes de rédaction très précises, guidant les ventes privées et publiques, en sont issues et fondent une hiérarchie de mentions selon un ordre décroissant de certitude, de la plus glorieuse à la moins prestigieuse, de « l’auteur » à « l’école de ». Le décret prescrit même aux experts de mentionner les éventuelles modifications ou altérations du bien. Et la mobilisation conjointe par la Cour de cassation, depuis un arrêt pivot du 7 novembre 1995, de l’article 1110 du code civil, portant sur l’erreur, et du décret Marcus a engendré un nouveau régime de responsabilité, fondé non plus sur la notion de faute mais sur celle de garantie lorsque la nullité est prononcée au profit de l’acquéreur. Désormais, « l’expert qui affirme l’authenticité d’une œuvre d’art sans assortir son avis de réserves engage sa responsabilité sur cette seule affirmation ». Le caractère erroné d’une mention entraîne de lourdes conséquences.
Fait récent encore plus marquant, au stade de la contribution à la dette l’expert est désormais seul responsable. Et cela bien qu’il soit légalement et judiciairement solidaire de l’opérateur de ventes (sauf hypothèses marginales de partage de responsabilité lorsque le commissaire-priseur ne s’est, par exemple, pas entouré d’un expert compétent en son domaine). L’obligation de souscrire une assurance couvrant leur activité participe également au renforcement de la responsabilité des experts. Mais au vu de ce nouveau régime de responsabilité, les sommes assurées et le coût de l’assurance pourront prochainement poser difficulté.
Délais de prescription
Autre sujet d’inquiétude pour les experts, la disparité du point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité selon le régime de la vente pour laquelle l’expertise est menée. Si le délai est le même, d’une durée de cinq ans, il court à compter de l’adjudication en vente aux enchères publiques et à partir du jour de la découverte de l’erreur en vente de gré à gré. Néanmoins, l’action demeure enfermée dans un délai butoir de vingt ans, délai commençant au jour de la vente, depuis 2008. Ainsi, six ans après une vente aux enchères, un expert ne pourra plus voir sa responsabilité engagée, tandis que celle-ci pourrait l’être pour une expertise réalisée à l’occasion d’une vente effectuée par un antiquaire.
L’expert judiciaire
L’expertise menée en matière judiciaire est soumise à deux principes directeurs fondamentaux : le contradictoire et la motivation du rapport. Le défaut de respect de l’un de ces deux principes entraîne nécessairement la mise à l’écart de l’expertise, voire sa nullité. Le respect du contradictoire permet aux parties au procès de pouvoir répondre aux conclusions du pré-rapport ou du rapport. Des expertises complémentaires ou une contre-expertise peuvent alors être ordonnées. L’expert désigné, inscrit dans une spécialité, peut solliciter l’aide d’un ou de plusieurs sapiteurs dans des domaines connexes. Et quelle que soit sa compétence, l’expert judiciaire peut être amené à se prononcer sur l’authenticité d’une œuvre sur laquelle un spécialiste de l’artiste s’est déjà prononcé.
Contestant les conclusions de l’expert judiciaire, l’auteure du catalogue raisonné de Jean Metzinger et ayants droit du peintre cubiste, sans prétendre au monopole de l’authentification de ses œuvres, s’était présentée comme la spécialiste de celui-ci. Et d’affirmer que le tableau litigieux ne pouvait au regard de sa piètre qualité être authentique. Mais l’argumentation n’a nullement convaincu la cour d’appel de Paris qui a, le 12 octobre 2012, fait siennes les conclusions de l’expert judiciaire et retenu l’authenticité, même si l’arrêt a été depuis lors cassé sur un autre aspect. En effet, l’expert judiciaire avait « répondu aux objections formulées par Bozena Nikiel qui ne fournit, en revanche, en réponse, aucun élément probant de nature à accréditer la thèse selon laquelle le tableau litigieux ne serait pas authentique ». D’un examen aux rayons ultra-violets à une comparaison stylistique et à l’établissement du pedigree de l’œuvre, en passant par la sollicitation d’autres experts, l’analyse menée était motivée. Et partant, la cour retient après maints développements que « les critiques relatives à la qualité de l’expertise apparaissent par conséquent infondées ». Au contraire, la cour d’appel de Paris a annulé un rapport d’expertise portant sur un tableau de Calder, le 19 novembre 2014. La cour a considéré « qu’en n’avisant pas du dépôt du rapport et en ne communiquant pas préalablement aux parties […] ses conclusions, l’expert qui n’a pas respecté les termes de sa mission, a méconnu le principe de la contradiction et les droits de la défense ; que ce comportement a fait grief aux parties ».
Au-delà de l’expertise, l’expert judiciaire lui-même peut être critiqué. Sans rejeter pour autant le rapport dressé à propos de reproductions de bronzes de Rodin, le tribunal correctionnel de Paris s’est fait l’écho des très nombreuses réserves émises par la défense à l’égard d’un expert fort réputé, inscrit à la cour d’appel de Versailles et à la Cour de cassation, le 20 novembre 2014. De l’usage de ses titres universitaires au regard de la réalité, en passant par ses relations avec l’une des parties et la communication à celle-ci d’éléments du dossier d’instruction, laissant « pantois le tribunal », tout cela suscite encore quelques interrogations. Or, outre ses obligations d’ordre technique et scientifique, l’expert judiciaire est tenu de respecter une déontologie et une certaine moralité, sous peine de voir sa responsabilité engagée. Si le juge n’est nullement lié au rapport dressé par l’expert, et par ses éventuels sapiteurs, son jugement s’appuie bien souvent sur les conclusions de ce sachant, notamment lorsqu’aucune réserve n’y est exprimée. Le tribunal de grande instance de Paris a ainsi retenu, le 17 juin 2014, qu’au « vu des conclusions sans réserves de l’expert, il convient de retenir que le tableau litigieux ne peut être attribué à Mikhaïl Vrubel et qu’il n’est donc pas authentique ». La procédure de l’expertise judiciaire apporte donc, elle aussi, une garantie aux justiciables.
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L’absence de statut n’empêche pas la garantie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°429 du 13 février 2015, avec le titre suivant : L’absence de statut n’empêche pas la garantie