VERSAILLES [07.12.15] - La cour d’appel de Versailles a infirmé en sa totalité, le 3 décembre 2015, la décision du TGI de Nanterre du 24 mai 2013 qui avait condamné Werner Spies à rembourser in solidum à un acquéreur la totalité du prix d'achat d’un faux Max Ernst de Wolfgang Beltracchi qu’il avait authentifié.
Dans les remous de l’affaire Beltracchi, de nombreuses œuvres réalisées et dispersées sur le marché par le couple de faussaires ont commencé à faire surface et à défrayer la chronique judiciaire. « Tremblement de terre », authentifiée par le meilleur spécialiste de Max Ernst, Werner Spies, deux ans avant son exposition à la Biennale des Antiquaires de Paris de 2004 par la galerie Cazeau-Béraudière en constitue la parfaite illustration. De la technique utilisée, au pedigree de l’œuvre, jusqu’à sa documentation l’illusion était parfaite. Seule l’utilisation de pigments, dont la découverte est postérieure à la date à laquelle le tableau était censé avoir été réalisé, a pu trahir la prouesse des faussaires. Mais cette erreur n’a pu être décelée qu’une fois le scandale dévoilé par la police allemande et qu’au terme d’une expertise scientifique diligentée par Sotheby’s, la maison de ventes ayant proposé aux enchères new-yorkaises l’œuvre acquise cinq ans auparavant par la société Monte Carlo Art.
L’écho judiciaire fut, quant à lui, terrible pour Werner Spies, condamné en 2013 à rembourser avec Jacques de la Béraudière les plus de 650.000 euros déboursés par Mont Carlo Art. L’affaire avait fait débat, tant en France qu’en Allemagne, en raison des fondements de la décision du tribunal de grande instance de Nanterre.
Une décision heureuse
Si la cour d’appel de Versailles vient, le 3 décembre 2015, d’infirmer en totalité le jugement de première instance, l’analyse juridique menée entretient cette fois-ci une confusion entre le catalogue raisonné et le certificat d’authenticité. L’arrêt aurait pu être tout aussi heureux dans sa solution s’il avait, au regard de la jurisprudence actuelle, bien scindé l’analyse de ces deux documents essentiels pour le marché de l’art.
Rappelant le contexte de l’affaire, Beltracchi ayant exécuté les œuvres en recourant à des techniques picturales utilisées par Max Ernst à l’époque présumée de réalisation de chaque œuvre contrefaite, inventé « un historique plausible et cohérent, reposant en partie sur des faits réels, à le documenter par de fausses photographies » et réinventé « des œuvres en utilisant le titre d’œuvres disparues dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale et non réapparues depuis », la cour souligne que d’autres spécialistes de Max Ernst, y compris sa veuve Dorothéa Tanning, avaient délivré des certificats et que « seules des investigations techniques très poussées ont permis de mettre en lumière l’inauthenticité des œuvres ».
De même, et à l'instar du jugement de première instance, la cour relève qu’il est « constant que Werner Spies est un spécialiste incontournable de l’œuvre de Max Ernst et que l’opinion qu’il est susceptible d’émettre conditionne l’aptitude d’une œuvre à être introduite sur le marché de l’art, ainsi que l’intéressé en convient lui-même ».
Mais une première différence d’appréciation entre le TGI et la cour d’appel s’opère sur le lien entre cette renommée et la responsabilité de l’historien de l’art du fait de la rédaction d’un certificat d’authenticité, d’une notice selon Werner Spies soutenant que de tels documents sont « l’apanage de l’artiste lui-même et, après sa mort, de ses ayants droit ». Le TGI de Nanterre avait retenu, de manière bien contestable, que bien que le document ait été rédigé dans des circonstances « d’évidence étrangères à la vente », « dès lors que l’expert savait que son écrit serait déterminant pour attribuer l’œuvre à Max Ernst et induirait une majoration considérable de sa valeur marchande », il avait choisi « délibérément d’engager sa responsabilité, notamment en cas de vente ».
Telle n’est pas la position de la cour d’appel qui fait preuve de davantage d’orthodoxie en la matière, la jurisprudence majoritaire retenant que la responsabilité liée à la rédaction d’un certificat d’authenticité ne peut être retenue que si celui-ci a été réalisé pour accompagner une vente. Or, la mention de Werner Spies, selon laquelle « L’œuvre reproduite "Tremblement de terre", huile sur toile, 60 x 73 cm, 1925, va figurer dans le catalogue raisonné de Max Ernst qui paraît sous ma direction. Paris 24 juillet 2002 » datait de deux ans avant la mise en vente du tableau et n’avait donc nullement été réalisée dans une telle perspective.
Une analyse confuse de la cour
La confusion entre catalogue raisonné et certificat d’authenticité naît de la position de la cour selon laquelle « il ne peut être mis à la charge de l’auteur d’un catalogue raisonné qui exprime une opinion en dehors d’une transaction déterminée, une responsabilité équivalente à celle d’un expert consulté dans le cadre d’une vente ». Une telle solution est applicable aux seuls certificats d’authenticité, pouvant revêtir la forme d’une promesse d’inclusion future dans un catalogue. Les contours de la responsabilité propre aux catalogues, précisés par l’arrêt de la Cour de cassation du 22 janvier 2014 dans l’affaire Metzinger, sont autres et imposent de s’intéresser à l’objet même du catalogue, dont la rédaction bénéficie désormais du régime de la liberté d’expression, et non à l’avis formulé. Cette confusion apparaît d’autant plus nettement, lorsque la cour affirme que « la responsabilité que Werner Spies est susceptible de devoir assumer à l’occasion de la délivrance d’une telle opinion doit donc être examinée au regard des conditions de droit commun de l’article 1382 du code civil », article désormais évincé de l’appréciation de la responsabilité d’un auteur de catalogue raisonné, sauf dénigrement éventuel, tel que l’a rappelé la cour d’appel de renvoi de Versailles le 29 octobre dernier, une nouvelle fois dans l’affaire Metzinger. À la liberté d’expression prévalant en matière de rédaction de catalogue raisonné, s’opposerait alors un régime de responsabilité délictuelle en matière de rédaction de certificat d’authenticité.
Une expertise indépendante de la vente
L’arrêt doit cependant être approuvé en ce que la cour retient que « la circonstance que Werner Spies émette ses opinions selon des modalités qu’il a lui-même codifiées, consistant dans l’apposition, au dos d’une photographie de l’œuvre, d’une mention invariablement libellée dans les mêmes termes, n’a pas pour effet de conférer à cette opinion les caractéristiques d’une expertise sollicitée dans le cadre d’une vente », seule à même d’engager la responsabilité du rédacteur d’un certificat. Et celle-ci est rejetée par la cour, puisqu’il « ne peut être exigé de l’auteur d’un catalogue raisonné », ou du rédacteur d’un certificat devrait-on ajouter, « qu’il subordonne l’admission de chaque œuvre au catalogue publié sous sa responsabilité à la réalisation d’une expertise scientifique, laquelle nécessite le prélèvement de fragments de l’œuvre et représente un coût significatif ».
Monte Carlo Art ne rapportant pas la preuve, qui lui incombe, d’une faute à l’encontre de Werner Spies, dans la rédaction de son opinion, la responsabilité de l’historien est écartée. De même, la société ne rapporte pas la preuve que les dirigeants de la galerie, et spécialement Jacques de la Béraudière, auraient commis une faute détachable de leurs fonctions qui leur soit imputable personnellement. Les tremblements sur la terre de l’expertise artistique annoncés par la décision du TGI de Nanterre de 2013 se sont, bien heureusement, tus au profit d’une solution préservant le travail des experts et historiens agissant en dehors de la perspective d’une vente.
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Les peines prononcées contre Werner Spies infirmées en appel
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Abonnez-vous dès 1 €Werner Spies © Photo Fred Wittig
« Tremblement de terre », faux tableau de Maw Ernst réalisé par Beltracchi. Acheté à la galerie Cazeau-Béraudière en 2004 et mis en vente chez Sotheby's New York le 4 novembre 2009 : estimé 600 000 / 800 000 $ et adjugé 1,14 million de dollars.