NANTERRE [17.06.13] – L'historien de l'art Werner Spies a été condamné in solidum à rembourser à un acquéreur la totalité du prix d'achat d'un faux Max Ernst de Wolfgang Beltracchi qu'il avait authentifié.
L'affaire jugée par le tribunal de grande instance de Nanterre le 24 mai 2013 concentre l'ensemble des dérives du marché de l'art : un faux tableau d'une des figures majeures du surréalisme, créé par le désormais célèbre Wolfgang Beltracchi, un historien de l'art mondialement réputé pour sa connaissance de l'artiste, lui accordant un quasi-monopole dans l'authentification, un galeriste parisien agissant comme expert et un acheteur mystérieux, dont l'identité était jusqu’à présent dissimulée derrière un écran de fumée de sociétés.
Tous ont cru en l'authenticité du tableau, avant que les premiers doutes ne surviennent depuis l'Allemagne et ne soient confirmés par une étude scientifique réalisée aux Etats-Unis à la demande de Sotheby's, contrainte d'annuler la revente du tableau Tremblement de terre en 2010, depuis lors identifié sur une des photographies représentant faussement Joséfine Jägers.
Ainsi, si le procès rapide du couple Beltracchi a permis de dévoiler les rouages de leur escroquerie, il a également souligné la place centrale de deux documents, le certificat d'authenticité et le catalogue raisonné d'un artiste, qui ont permis, hier, de vendre un nombre encore indéterminé de faux et, aujourd'hui, d'engager la responsabilité de leurs rédacteurs.
En effet, la société ayant acquis la peinture Tremblement de terre pour plus de 650 000 euros n'a pas sollicité l'annulation de la vente mais la seule mise en jeu de la responsabilité délictuelle de l’expert Werner Spies et du galeriste Jacques de la Beraudière qui auraient établi l'authenticité du tableau litigieux et influencé ainsi nécessairement le consentement de la demanderesse. Dès lors, selon la société lésée, le montant du préjudice correspondrait au prix payé.
Werner Spies, réputé comme étant « le plus important spécialiste de Max Ernst au monde » selon ses propres dires, avait procédé à l'analyse stylistique de l'oeuvre à partir d'une reproduction photographique et en avait déduit qu'elle était suffisamment plausible et intéressante pour mériter son inclusion au catalogue raisonné de cet artiste. Selon le tribunal de grande instance, si Werner Spies « réfute la qualité d'expert, il sait néanmoins que toute appréciation portée par lui sur une oeuvre est de nature à convaincre autrui de son bien-fondé, de l'origine du tableau, et qu'elle est par conséquent un élément déterminant pour la fixation du prix, quand bien même il ne procède pas lui-même à une estimation. Dès lors, en écrivant de sa main, au dos de la reproduction du tableau « Tremblement de terre », sans réserves, que l'oeuvre allait figurer dans le catalogue raisonné entrepris par lui, il a de fait affirmé l'authenticité de l'original ».
Certes, l'insertion d'une oeuvre au sein d'un catalogue raisonné constitue un facteur psychologique essentiel à l'occasion d'une vente, mais l'historien n'avait pas encore publié une nouvelle édition de son ouvrage. L'oeuvre incriminée n'y ayant ainsi pas été définitivement incluse, les juges ont fait d'une promesse une réalité. Par ailleurs, alors que la jurisprudence retient que la responsabilité liée à la rédaction d'un certificat d'authenticité ne peut être retenue que si celle-ci a été réalisée pour accompagner une vente, la position des juges s'avère ici toute autre. En effet, bien que le document ait été rédigé dans des circonstances « d'évidence étrangères à la vente », « dès lors que l'expert savait que son écrit serait déterminant pour attribuer l'oeuvre à Max Ernst et induirait une majoration considérable de sa valeur marchande », il a choisi « délibérément d'engager sa responsabilité, notamment en cas de vente ». Ainsi, la renommée d'un expert accorderait désormais en toutes circonstances à ses avis une véritable valeur juridique et une responsabilité corrélative.
A cet égard, le tribunal retient que le document rédigé par Werner Spies « conduisait nécessairement n'importe qu'elle galerie d'art et société spécialisée dans la vente d'oeuvres d'art à considérer cette authentification comme certaine et convaincante », influençant alors « Monsieur de la Beraudière dans son appréciation de l'auteur litigieux. Toutefois, il ne le dispensait pas, en sa qualité d'expert en oeuvres d'art, d'effectuer des recherches personnelles avant de certifier à son tour l'authenticité du tableau ». Ainsi, la faute de l'historien ayant en partie provoqué celle du galeriste, le premier est condamné à garantir au second à hauteur de la moitié de la somme réclamée.
Rançon de la gloire, la condamnation de Werner Spies pourrait paraître (trop) exemplaire. Mais la gloire avait déjà été entachée, l'historien ayant reconnu dans d'autres circonstances avoir touché des commissions de près de 8% de la part de l'intermédiaire des Beltracchi dans la vente des faux Max Ernst, même s'il s'est toujours défendu de toute complicité. Assurément, les tremblements sur la terre de l'expertise ne font que débuter.
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La condamnation de Werner Spies souligne la responsabilité des experts
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Abonnez-vous dès 1 €Werner Spies - © Photo Blaues Sofa - 2011 - Licence CC BY 2.0