Galerie

Les pas de côté de Vera Molnár

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 28 novembre 2023 - 659 mots

PARIS

C’est avec cette artiste historique, attachée au « presque-rien » de désordre dans la géométrie, que la Galerie 8+4 inaugure sa nouvelle adresse.

Paris. Comme le suggère son nom, la Galerie 8+4 (en référence au tirage de multiples originaux, 8 pour la vente, 2 pour la galerie, 2 pour l’artiste) s’est depuis ses débuts spécialisée dans le livre d’artiste et l’édition de multiples réalisés avec les créateurs (estampes, objets divers, en verre, en porcelaine, tapisseries, bijoux, etc.). Fondées en 2006 par Bernard Chauveau – rejoint l’année suivante par le critique d’art et commissaire d’exposition Damien Sausset –, les éditions Bernard Chauveau ouvrent un premier showroom en 2015 (dans le 15e arrondissement). Elles deviennent la Galerie 8+4 en 2018, qui s’installe au 36 de la rue de Turin (dans le 8e) et commence, en plus de l’activité initiale, à exposer des œuvres uniques et à soutenir des artistes émergents, comme Claire Trotignon, ou de moins jeunes alors peu exposés, tel Franck David. À l’occasion de Paris+ par Art Basel, Chauveau et Sausset ont inauguré leur nouvelle adresse, « plus centrale et avec une superficie doublée, de 50 à 100 m2», selon leurs propres termes, au 13, rue d’Alexandrie dans le 2e arrondissement.

Le motif de la croix

Pour l’occasion, les galeristes ont sollicité la presque centenaire Vera Molnár (née le 5 janvier 1924 à Budapest, elle est installée à Paris depuis 1947). Ils travaillent avec elle depuis 2009, et l’année dernière ils lui ont proposé de réfléchir à des vitraux pour l’abbaye de Lérins (Alpes-Maritimes). Alors âgée de 98 ans, elle avait pris le sujet à bras-le-corps et esquissé, durant l’été 2022, trois projets dont l’un a été retenu. Début 2023, à l’invitation de la galerie, elle a fait cent dessins entre janvier et avril, à la main, tous autour du motif de la croix, avant de les modéliser à l’ordinateur. L’ensemble occupe ici tout un mur et la modélisation a donné lieu à un beau coffret, à partir duquel Molnár a produit une dizaine de toiles et des collages sur papier, également accrochés.

Parallèlement à ces œuvres récentes sont présentées des œuvres originales historiques. À commencer par une suite de cinq dessins des années 1950, avant qu’elle n’ait recours, dès 1968, à l’ordinateur, et qui figurent déjà des petites croix. La croix est l’un de ses motifs récurrents, non en tant que signe religieux mais pour l’intersection de lignes ou segments de droites qu’elle peut décliner à l’infini avec de subtiles variations, d’où son titre, « Thèmes et variations », en référence à J. S. Bach. La musique, qui a toujours accompagné Vera Molnár, se retrouve dans deux dessins de la série « Mikrokosmos » (en clin d’œil à Béla Bartók), soit le cœur historique de ses premiers travaux à l’ordinateur, à la fin des années 1960. On découvre aussi ici de magnifiques collages des années 1990 pour lesquels Vera Molnár s’est amusée à déchirer des morceaux de papier afin de faire apparaître des lignes à la fois aléatoires et maîtrisées. Au travers de quelque 170 œuvres sont ainsi rappelés les principaux thèmes et méthodes qui ont animé plus de soixante-dix années de travail, soit son rapport à la géométrie (cercle et carré), le jeu avec les lignes (« pas un jour sans une ligne », a-t-elle souvent dit), l’humour, le rapport entre l’humain et la machine, l’exploration d’un motif… Et bien sûr, comme une règle de vie, le collage, le décalage, le grain de sable, le pas de côté… qui vont générer « le presque-rien » de désordre ou le « je-ne-sais-quoi » de Vladimir Jankélévitch chers à Molnár.

Entre 690 euros pour sa plus récente sérigraphie (tirée à 30 exemplaires) et 40 000 euros pour une suite de quatre toiles – dont le format de l’une à l’autre passe d’un carré de 1 m de côté à un carré 25 cm de côté –, le prix des œuvres est très inférieur à ce qu’il devrait être pour une artiste passionnante et historique puisqu’elle fut pionnière dans la discipline de l’ordinateur.

Vera Molnár, cent (ou mille) façons de faire,
jusqu’au 20 janvier 2024, Galerie 8+4, 13, rue d’Alexandrie, 75002 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°621 du 17 novembre 2023, avec le titre suivant : Les pas de côté de Vera Molnár

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