Galerie

Vera Molnar et la manière

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 13 mars 2019 - 752 mots

PARIS

À la galerie Berthet-Aittouarès, l’artiste géométrique dit tout de sa méthode et de ses affinités avec Dürer, Cézanne et Klee.

Paris. « Ma troisième rencontre avec Dürer fut le coup de foudre de ma vie. Un jour, dans un livre sur lui que j’avais acheté jeune étudiante à Budapest, je suis tombée sur une gravure, la “Mélancolie” [voir p. 38]. En haut et à droite, il y avait un truc bizarre, une sorte de carré magique ; en le voyant, je me suis dit : là est enterré le secret de l’art non figuratif. J’ai eu l’impression que ce carré magique avait quelque chose à me dire. Ce petit machin me fait travailler depuis cinquante ans », glisse dans un sourire Vera Molnar.

À 95 ans (elle est née en 1924 en Hongrie et installée à Paris depuis 1947), cette « grande dame de l’abstraction » telle qu’elle est souvent qualifiée, l’une des pionnières à travailler avec un ordinateur dès 1968, se souvient avec une étonnante mémoire des déclics que lui a procurés Dürer. Et du jour où elle a découvert que les doubles chiffres inscrits au bas de ce motif carré correspondaient à l’année du décès de la mère de l’artiste. Vera Molnar va les remplacer par ceux de sa propre date de naissance et les décliner en variations, s’en amuser, les décomposer. Elle va aussi troquer les initiales de Dürer, le « D » figurant dans un « A » en bas à droite de la planche, contre les siennes « VM » et, usant du même graphisme, disposer les bâtonnets des lettres dans une suite progressive, comme on peut le voir dans sa Genèse d’un carré magique.

Mais, au même titre que Dürer, Cézanne et Klee l’ont marquée et accompagnée toute sa vie, comme le rappelle l’intitulé de cette exposition à la galerie Berthet-Aittouarès : « Affinités particulières. Hommages à Dürer, Cézanne, Klee ». De Cézanne, Molnar dit avec l’humour qui la caractérise qu’elle a « déconstruit et reconstruit ses Baigneuses. J’ai remis Cézanne sur pied. Plus de fesses, plus de dames ». Mais c’est surtout la montagne Sainte-Victoire qui, jeune, l’a frappée. Au point de venir s’installer un temps à Aix. Elle retrouvera Cézanne plus tard et indirectement aux États-Unis, en découvrant la fameuse courbe de Gauss, ce mathématicien allemand (1777-1855) qui a travaillé sur les courbes en forme de cloche. En revoyant la Sainte-Victoire, quinze ans après, Gauss et Cézanne vont se superposer dans son imagination et lui ouvrir la voie des formes plus rondes.

Quant à Paul Klee, c’est avec certaines de ses œuvres qu’elle a commencé à travailler sur un ordinateur. Des années plus tard, elle se souviendra de la toile Ad Parnassum, composée d’un triangle pour le mont Parnasse et surtout d’un soleil évocateur de ces couchers de soleil qu’elle allait peindre, enfant, au fond de son jardin donnant sur le lac Balaton. Un Triangle et cercle, selon le titre d’un dessin, qui sera décliné en variations, avec des traits fins ou plus épais, comme en musique lorsqu’on va de l’aigu au grave.

« J’adore transgresser »

D’une très riche diversité formelle, mais toujours autour de la géométrie dont la « rencontre a bouleversé ma vie », dit-elle, toutes les œuvres montrent le process, la méthode de travail de Vera Molnar, avec ses séquences de glissements et réinterprétations de figures. La sélection d’une trentaine de pièces, parmi lesquelles une grande installation au fil, rappelle aussi la variété des techniques utilisées : dessin sur calque ou sur papier, peinture sur toile, collages, et bien sûr motifs réalisés à la table traçante. L’ensemble montre comment l’artiste s’amuse régulièrement à introduire des grains de sable dans sa radicalité afin de faire légèrement dérailler le système et l’ordre de la géométrie. « J’adore transgresser », affirme-elle.

Entre 2 000 euros pour les plus petits dessins et 25 000 pour une grande toile, les prix restent très accessibles, et même en dessous des montants qu’ils pourraient atteindre, compte tenu de l’âge de l’artiste et de son importance aujourd’hui dans le champ de l’abstraction. À cela, plusieurs raisons. Tout d’abord Vera Molnar est vraiment entrée dans le marché il y a seulement un peu plus d’une vingtaine d’années. Elle préférait auparavant se tourner vers les centres d’art ou de recherche, menant ses expérimentations avec son mari, lui-même chercheur au CNRS en art et en optique. Ensuite, comme beaucoup de femmes artistes, elle a toujours été moins cotée que ses homologues masculins, notamment son ami François Morellet. Enfin, elle n’est pas américaine. Mais la courbe (de Gauss) est en train de changer et sa cote ne cesse de grimper. En toute logique.

Vera Molnar, affinités particulières. Hommages à Dürer, Cézanne, Klee,
jusqu’au 20 avril, galerie Berthet-Aittouarès, 14, rue de Seine, 75006 Paris

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°519 du 15 mars 2019, avec le titre suivant : Vera Molnar et la manière

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