À près de 92 ans, l’artiste d’origine hongroise sait parler avec humour de son travail géométrique, encore trop méconnu.
PARIS - Lorsqu’on lui demande si elle est fâchée avec la courbe et l’arrondi, Vera Molnar qui expose actuellement à la galerie Berthet-Aittouares, répond de façon catégorique et drôle : « J’ai une longue histoire tumultueuse avec le cercle. Ce n’est pas que je ne l’aime pas, mais je n’ai jamais été capable de le faire correctement. À main levée cela devenait patatoïde. » À 92 ans « et demi », tient à préciser l’artiste (née en 1924 à Budapest et installée à Paris depuis 1947) n’a rien perdu de cet humour qu’elle et son mari partageaient avec François Morellet et sa femme.
Il faut l’entendre raconter leur rencontre en 1956 : « Morellet était allé présenter son travail chez Denise René, peu emballée. S’y trouvait Jesùs-Rafael Soto qui dit à Morellet : un seul couple peut s’intéresser à toi, les Molnar. Il sonne donc chez nous et me dit : c’est Jesus qui m’envoie. » Dur de refuser effectivement. Ils resteront toujours amis. « Vers 80 ans, trouvant que c’était dur de vieillir, je leur ai proposé de se suicider en voiture en se jetant d’une falaise. François m’a répondu : si tu veux, je te prête ma voiture. » Entre-temps, en 1960 ils participeront ensemble à la création du Centre de recherche visuel (CRAV) et en 1967 ils créeront le groupe Art et informatique à l’Institut des sciences de l’art à Paris.
Pionnière de la création par ordinateur
Elle a d’ailleurs toujours été considérée comme l’une des pionnières de l’utilisation d’un ordinateur dans la pratique artistique. Et comme une grande dame de la géométrie. « J’adore la géométrie. J’adore tout ce qui n’a pas été fait par le bon Dieu et le bon Dieu, autant que je sache, n’a pas fait de géométrie. On ne voit pas de carrés dans la nature. Je nage, je rêve, je bouffe de la géométrie. » Mais pas n’importe laquelle, pas une géométrie dure, rigide, infaillible, comme l’indique d’ailleurs le titre de son actuelle exposition « 1 % de désordre ou la vulnérabilité de l’angle droit ». Car celle qui préfère citer Bonnard, Matisse, Klee, Kandinsky comme références plutôt que des abstraits froids, aime qu’un grain de sable vienne gripper le système, glisser du hasard, créer un décalage à peine perceptible. « D’ailleurs aujourd’hui ce serait plutôt 5 % de désordre, car avec l’âge je deviens plus distraite. » Ces glissements, elle les illustre aussi lorsqu’elle dit « je suis trois fois con : construite, conceptuelle et “computer”, avec un “m” pour le dernier. » Ou lorsqu’elle réalise une surprenante Épure d’un paysage de Van Gogh avec un cercle pour le soleil (mais réalisé d’après ordinateur) et deux lignes pour l’horizon et la montagne. La ligne, justement, droite, brisée, oblique, parallèle, anguleuse qui dessine des angles, des triangles, des rectangles, des carrés comme autant d’enclos prêts à accueillir ses aplats de couleurs, comme on peut en voir l’application dans la soixantaine d’œuvres ici réunies, souvent doublement datées comme ces Huit perspectives juxtaposées, 1957-2003 : deux repères qui rappellent sa façon particulière de travailler.
Une carrière discrète
Depuis longtemps Vera Molnar consigne, en effet, dans des cahiers rouges (elle en est aujourd’hui au 19e) soigneusement rangés dans son atelier parisien, des idées, des notes, des ébauches, des esquisses, des petits dessins… tout ce dont elle peut et va se servir – ou non d’ailleurs – pour nourrir son travail qu’elle commence et peaufine sur ordinateur, avant de le reprendre sur papier ou sur toile, et là toujours à main levée. Cela explique les écarts de dates des œuvres ici présentées, ainsi que leur diversité formelle et la variété de formats et de prix, qui vont de 2 000 euros pour un petit dessin (15 cm x 15cm) à 30 000 euros pour un triptyque composé de 80 par 80 cm. Une cote assez basse pour une artiste importante qui s’explique notamment par le fait que Vera Molnar s’est très peu souciée de sa carrière. Elle n’a par exemple fait sa première exposition personnelle qu’en 1976 soit trente ans après son premier tableau. Et elle n’a par la suite jamais eu de galerie parisienne à grand rayonnement international. On avait pu la voir dans les galeries (par ailleurs tout à fait respectables) Torri dans le Marais et Oniris à Rennes (qui fête en ce moment ses 30 ans et la représente depuis quasiment autant d’années). Elle n’a d’autre part eu sa première rétrospective qu’en 2012 au Musée des beaux-arts de Rouen. À signaler tout de même que Vera Molnar figure dans de nombreuses collections publiques, notamment en Allemagne et en Suisse. Mais malgré ses 92 ans et demi, elle n’en est qu’au début.
Nombre d’œuvres : 60
Prix : entre 2 000 et 30 000 €
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Vera Molnar sous tous les angles
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 29 octobre, Galerie Berthet-Aittouares, 14 rue de Seine, 75006 Paris, tél.01 43 26 53 09, www.galerie-ba.com, mardi-samedi 11h-13h et 14h30-19h.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°465 du 14 octobre 2016, avec le titre suivant : Vera Molnar sous tous les angles