Collectionneurs - Ventes aux enchères

ART JAPONAIS DU XVIIIE SIÈCLE

La cote d’Hokusai au sommet 

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 26 août 2023 - 981 mots

Les prix des estampes du maître japonais, mondialement connu pour sa « Grande Vague », ont enregistré ces dernières années une forte augmentation portée par une riche actualité : expositions, catalogues, biopic…

Katsushika Hokusai, La Grande Vague de Kanagawa, estampe de la série Les trente-six vues du Mont Fuji, 28 x 38 cm. © Christie’s Images Limited 2023
Katsushika Hokusai (1760-1849), La Grande Vague de Kanagawa, estampe de la série Les trente-six vues du Mont Fuji, 28 x 38 cm.
© Christie’s Images Limited 2023

Le 21 mars dernier, Katsushika Hokusai (1760-1849) établissait un nouveau record aux enchères avec l’estampe Sous la vague au large de Kanagawa, plus connue sous le nom de La Grande Vague, adjugée 2,7 millions de dollars [2,6 M€] à New York chez Christie’s. Si le marché est essentiellement à New York, une autre Vague a été emportée à Paris trois mois plus tard, le 14 juin, pour 882 000 euros (quatrième prix le plus élevé). « Il y a trente ans, il fallait débourser dans les 100 000 francs », se souvient Tamio Ikeda, fondateur de la galerie Tanakaya (Paris), spécialisée notamment dans les estampes japonaises originales (celles éditées avec l’accord de l’artiste). Ainsi, même si Hokusai a toujours eu l’attention des collectionneurs, les prix ont augmenté ces dernières années, les bons résultats aux enchères entraînant l’arrivée des œuvres sur le marché. « Les estampes de “La Grande Vague” ne sont pas rarissimes. En plus de trente ans, j’en ai bien vu trente ou quarante en ventes publiques, et d’autres en mains privées, avec une accélération notable ces dernières années », confirme le galeriste.

Hokusai était connu et célébré au Japon de son vivant. Sa notoriété s’est amplifiée en Europe et aux États-Unis à la fin du XIXe siècle, lorsque les œuvres japonaises ont commencé à y être exportées. « Et depuis une vingtaine d’années, à la suite des expositions muséales au Japon, en Europe et aux États-Unis, accompagnées de catalogues très complets, son nom et son œuvre sont de plus en plus connus », rapporte Tamio Ikeda. Il est vrai que l’actualité est riche autour du maître : la sortie du biopic d’Hajime Hashimoto fin avril, l’exposition monographique au Musée de Boston jusqu’au 16 juillet ou encore celle qui s’est terminée en janvier au Musée départemental des arts asiatiques à Nice.

Grandes séries d’estampes

Si Hokusai a réalisé des peintures, « elles sont beaucoup plus rares sur le marché – et assez inégales –, car il est surtout recherché pour ses estampes », précise Camille de Foresta, spécialiste des arts asiatiques chez Christie’s Paris. Lors de la vente du 14 juin, une encre et couleur sur papier représentant des crevettes [voir ill.] – issue de la collection Edmond de Goncourt, un des premiers grands collectionneurs d’estampes japonaises – a atteint 65 520 euros (est. de 5 000 à 7 000 €). Un record avait été atteint avec Femme se regardant dans un miroir (encre et couleur sur soie), adjugée 431 600 euros, au marteau, chez Mainichi Auction (Tokyo) en 2020.

Les prix des estampes varient en fonction de plusieurs critères : la série, le sujet et son traitement ; la qualité de la gravure et de l’impression – en meilleur état est la planche, plus les contours du dessin sont nets ; l’état de conservation et notamment la qualité des couleurs et du papier.

Les très grandes séries d’estampes d’Hokusai – « Vues des ponts », « Cascades de différentes provinces », ou encore, la plus célèbre, « Trente-six vues du mont Fuji », celle-là même dont La Grande Vague est issue, sont les plus connues et les plus recherchées par les collectionneurs. Elles ont été réalisées durant les années 1830, quand l’artiste a déjà 70 ans ; il est alors au sommet de son art. La série des « Trente-six vues du mont Fuji » est éminemment novatrice pour l’époque : « Hokusai fait du paysage le sujet d’une série. Auparavant, le paysage n’était qu’un élément du décor, derrière les personnages. Ce choix est radical et régénère l’art de ­l’“ukiyo-e” (“images du monde flottant”) », explique Adrien Bossard, conservateur du Musée des arts asiatiques de Nice. Le succès d’Hokusai, outre son génie du dessin, tient aussi à sa collaboration avec un éditeur de talent, Nishimura Yohachi. « Il a mis à sa disposition les meilleurs graveurs et imprimeurs, utilisant papiers et encres de grande qualité, dont le fameux Bleu de Prusse nouvellement importé à la fin des années 1820 », précise Tamio Ikeda.

Jusqu’à 500 000 euros en ventes publiques

Surnommée « La Joconde de l’art japonais », La Grande Vague est assurément l’estampe la plus recherchée, mais aussi la plus chère du maître. Dans le top 10 de ses adjudications, cette image revient à huit reprises. Selon Artprice, grâce aux prix enregistrés par cette œuvre, « Hokusai se hisse dans le top 100 des artistes les plus performants aux enchères pour le premier semestre 2023 ». Les autres estampes du maître, surtout celles des années 1830, voient aussi leurs prix grimper depuis cinq ans, mais dans une moindre mesure. En moyenne, « ils varient d’environ 20 000 à 100 000 euros », indique Tamio Ikeda. Mais un pic a été atteint aux enchères avec Vent du sud, temps clair (ou Fuji rouge), adjugée 422 000 dollars en juillet 2022 (Sotheby’s Londres). « Globalement, en ventes publiques, les estimations se situent entre 5 000 et 500 000 euros », observe Camille de Foresta.

Au vu des prix très élevés de La Grande Vague, peu de collectionneurs d’estampes sont en mesure d’en acheter un exemplaire. Ce sont plutôt des investisseurs. « Les enchérisseurs étaient surtout des collectionneurs d’art contemporain désireux d’acquérir une icône de l’art », confie Camille de Foresta. Pour les autres sujets, la demande vient essentiellement des collectionneurs traditionnels, du Japon mais aussi d’Asie, notamment de Singapour et de Taïwan, tandis que les collectionneurs européens demeurent très présents. « Les collectionneurs d’estampes sont vraiment des geeks. Ce qu’ils cherchent, ce sont les éditions les plus primitives possible – une première édition étant quasiment mission impossible. Pour déceler une telle impression, il faut en avoir vu beaucoup », souligne Camille de Foresta.

Attention toutefois, nombre d’estampes d’Hokusai ont été reproduites en copie, de nouveaux bois ayant été gravés à de multiples reprises depuis plus de cent cinquante ans, et encore de nos jours. Les papiers et les encres sont différents, le travail de gravure et d’impression aussi. « Il convient de demeurer toujours attentif, l’expertise d’une estampe ne se fait pas en quelques minutes ! », met en garde Tamio Ikeda.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°615 du 7 juillet 2023, avec le titre suivant : Hokusai au sommet

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