L’un des plus grands marchands d’art du XXe siècle s’est éteint à Paris.
PARIS - D’octobre 2006 à janvier dernier, le Musée Picasso, à Paris, a présenté une partie de sa remarquable collection, celle de l’un des plus grands marchands d’art du XXe siècle. Quelques semaines après la fin de ce vibrant hommage, Heinz Berggruen est décédé le 23 février à Paris. Né en 1914 à Berlin, il fuit l’Allemagne nazie et prend la nationalité américaine. En 1947, c’est pourtant à Paris qu’il décide d’ouvrir une galerie, d’abord Place Dauphine, où il est le voisin de Simone Signoret et Yves Montand. Il déménage en 1949 au 70, rue de l’Université où il défend avec persévérance deux artistes qui le passionnent, Pablo Picasso et Paul Klee, mais aussi Juan Gris dont il publie le catalogue raisonné. « Ce qui a structuré son travail de galeriste, c’est son regard sur Picasso et Braque et accessoirement sur Gris et Léger, nous a déclaré son fils, Olivier Berggruen. Pour lui, le cubisme était le phénomène essentiel du XXe siècle. Klee était l’autre artiste [incontournable] dans sa carrière. Sur une production totale de plus de 10 000 œuvres de [ce dernier], mon père en a possédé à un moment ou un autre de sa vie autour de 10 % ! ».
De Paris à New York -
Débarquant dans le métier sans financier ni banque, Berggruen gagne rapidement beaucoup d’argent en vendant des lithographies. Dans sa biographie J’étais mon meilleur client, (éditions de L’Arche, 1997 ), il écrit : « Je me suis lancé dans le commerce de l’art sans avoir de véritable capital à ma disposition. Mais j’avais une conviction : celle que j’étais doué pour ce métier ». Pour le marchand parisien Daniel Malingue, « quand il ratait une affaire, il ne ruminait pas dessus et passait à autre chose. Il n’a jamais été du genre revanchard ». En 1980, Heinz Berggruen cède les rênes de la galerie à son assistant, Antoine Mendiharat, pour voyager, et vivre un certain temps à New York, mais aussi pour se consacrer à son importante collection. Très généreux, il commence aussi une longue série de dons à des institutions. Il offre ainsi treize œuvres de Paul Klee au Musée national d’art moderne à Paris, en 1973. Puis il fera don de quatre-vingt-dix œuvres du même artiste au Metropolitan Museum of Art de New York. Mais c’est vers l’Allemagne et Berlin qu’il se tourne à la fin de sa vie. En 1996, il fait un dépôt à long terme d’une partie importante de sa collection, dont un noyau de Picasso, avant de la donner en 2000 en échange d’une contrepartie symbolique à la Stiftung Preußischer Kulturbesitz, qui gère aujourd’hui le Musée Berggruen à Berlin. Pourquoi avoir fait ce geste pour l’Allemagne alors qu’il avait fui le régime nazi ? « Il était Allemand, dans le sens qu’il avait été bercé par la culture allemande, insiste Olivier Berggruen. Il faisait partie d’une famille juive très assimilée qui écoutait Wagner et lisait Goethe, embrassait les valeurs d’une Allemagne traditionnelle. Mon père avait la sensation que cinquante ans après la guerre, l’Allemagne avait fait un travail de questionnement sur son passé. Le temps était venu pour lui de se réconcilier avec son pays. »
Grand marchand, Heinz Berggruen a vu transiter par sa galerie nombre de chefs-d’œuvre du XXe siècle, comme le Portrait de Dora Maar par Picasso qui s’est adjugé 95,2 millions de dollars en mai 2006 chez Sotheby’s à New York. À tel point que pour le marchand parisien Nello Di Meo, « ceux qui ont gardé les tableaux qu’ils avaient achetés dans les années 1950 chez Berggruen ont fait de très bonnes affaires. Berggruen m’avait raconté qu’il avait vendu ce portrait autrefois pour 1 million de dollars ! »
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Heinz Berggruen (1914-2007)
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°254 du 2 mars 2007, avec le titre suivant : Heinz Berggruen