Galerie

XXE SIÈCLE

Gego, une œuvre qui défie le temps

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 3 janvier 2023 - 862 mots

PARIS

La galerie LGDR présente la première exposition parisienne commerciale de Gego, ou Gertrud Louise Goldschmidt, une artiste exilée à Caracas en 1939 et à laquelle le Guggenheim Museum de New York consacrera une rétrospective en 2023.

Paris. Les occasions ont été rares de voir les œuvres de « Gego » (1912-1994) à Paris. Cette figure majeure de l’art latino-américain est née en Allemagne : Gertrud Louise Goldschmidt n’a pas 30 ans quand elle fuit le régime nazi pour s’installer, en 1939, à Caracas (Venezuela). Longtemps regardé à travers ce prisme géographique, son travail a déjà fait l’objet d’une exposition à la Maison de l’Amérique latine en 2014. La Fondation Cartier pour l’art contemporain avait également montré un ensemble d’une vingtaine de pièces dans le cadre de l’exposition « Géométries Sud, du Mexique à la Terre de Feu » (2018-2019), grâce à un prêt exceptionnel de la Fundación Museos Nacionales de Caracas. Il suffit d’en avoir vus une fois pour reconnaître au premier regard les enchevêtrements métalliques de ses sculptures arachnéennes. Animée du désir de dépasser la rigueur formelle de l’abstraction géométrique et les séductions de l’art cinétique, l’œuvre de Gego a consisté à tordre la grille moderniste pour y introduire le principe d’irrégularité.

« Dessin sans papier »

Si ce n’est pas sa première exposition en France, c’est en revanche la première que lui consacre une galerie à Paris. LGDR, agence et galerie d’art cofondée par Dominique Lévy, Brett Gorvy, Amalia Dayan et Jeanne Greenberg Rohatyn, poursuit son travail de promotion de l’artiste depuis une douzaine d’années, en s’attachant désormais à l’Europe. « Mais ce n’est pas un travail que l’on découvre. Il avait été montré très tôt aux États-Unis, dès les années 1960, rappelle Dominique Lévy. Gego a inventé le concept du dessin sans papier. » C’est cependant avec des œuvres graphiques, de délicates aquarelles et des collages que s’ouvre l’exposition « Lines in Space ». Celle-ci comporte également des sculptures en fils d’acier, notamment de la série emblématique des « Chorro » (1979-1986, [voir ill.]), qui annonce ses spectaculaires « Réticulaires » (Reticulàrea). Ces constructions fragiles aux ombres fines ont sans doute inspiré plus d’un artiste contemporain : on pense par exemple aux assemblages de Sarah Sze, ou aux réseaux « Algo-r(h)i(y)thms » de Tomás Saraceno.

Gego a souffert du fait qu’elle était une artiste femme, et que sa notoriété soit cantonnée à une ère culturelle géographique. Mais elle a aussi pâti de la situation politique et économique du Venezuela, frappé par une récession catastrophique. « Comment en vouloir aux curateurs et aux musées qui n’ont pas eu les moyens de montrer ni d’entretenir ces œuvres ? Ce n’est pas la faute des institutions », constate Dominique Lévy. La galerie s’est quant à elle chargée de restaurer plusieurs pièces afin de les présenter lors de la première exposition organisée dans ses espaces new-yorkais. « Des frais colossaux », assure Dominique Lévy, et un pari sur l’avenir davantage qu’un calcul commercial immédiat, puisque les ventes furent nulles à l’occasion de cette première présentation.

Depuis, le marché s’est réveillé, et il est « international » selon la galeriste.« Mais ce qu’il faut également réaliser, c’est que Gego n’était pas une artiste avec des dizaines d’assistants dans un studio consacré à la production. C’était une femme dans la solitude de son atelier, de sa réflexion, de son cheminement », explique Dominique Lévy. À la différence des bronzes de Louise Bourgeois (1911-2010), les œuvres de Gego ne donnent pas lieu à une production posthume soutenue par les collectionneurs. « Il existe une trentaine de grandes œuvres majeures, estime la galeriste, dont beaucoup sont dans des musées ou des collections privées. Ensuite, on compte peut-être une centaine d’œuvres importantes, et un très grand nombre de dessins. Il n’y a pas de multiple de ses sculptures. Chaque pièce est unique. »

Un « ensemble puissant »

La galerie, à laquelle les héritiers de Gego ont confié en exclusivité la représentation de la succession, s’emploie à valoriser cette « création à échelle humaine ».À ce jour, le record de vente s’est établi en dessous de 4 millions d’euros, pour une pièce exceptionnelle, précise Dominique Lévy. On est loin des 40 millions de dollars réalisés lors de la dernière édition d’Art Basel, à Bâle, par la vente d’une Araignée de Louise Bourgeois. Les prix des œuvres se situent plutôt en dessous de 500 000 dollars pour les sculptures et entre 100 000 et 200 000 dollars pour les œuvres sur papier. La rétrospective en cours au Museo Jumex à Mexico, qui doit aller au Guggenheim à New York le printemps prochain, aura-t-elle pour effet secondaire d’élargir le marché et de faire s’envoler la cote ? LGDR aimerait en tout cas contribuer à ce que cette exposition itinérante trouve une institution partenaire sur le Vieux Continent.

Pour l’heure, la galerie continue à montrer le travail de l’artiste, à inviter des chercheurs, des écrivains, des penseurs à écrire à son sujet, des musées à le regarder. « Je n’ai aucun doute sur le fait que c’est un ensemble puissant, qui va perdurer, assure Dominique Lévy. C’est une question de temps et de relecture. L’œuvre de Gego comporte une part de sublime ; il faut du silence pour l’apprécier. » Voilà qui ne joue sans doute pas non plus en sa faveur, mais qui justifie d’autant plus l’attention que l’on pourra lui accorder.

Gego, Lines in Space,
jusqu’au 14 janvier 2023, LGDR, 4, passage Saint-Avoye, 75003 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°601 du 16 décembre 2022, avec le titre suivant : Gego, une œuvre qui défie le temps

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