Fondation

Précolombien-XXE SIÈCLE

La forme géométrique dans l’art sud-américain

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 28 novembre 2018 - 785 mots

Depuis l’art précolombien aux architectures contemporaines, la Fondation Cartier prend la mesure de l’omniprésence et de l’influence des « géométries » dans la création latino-américaine.

Paris. La géométrie aurait-elle des racines latino-américaines ? Dans de nombreux arts issus d’Amérique centrale et du Sud, elle semble en tout cas faire preuve de longévité et, aujourd’hui encore, d’une singulière influence. C’est ce que démontre cette passionnante exposition intitulée « Géométries Sud, du Mexique à la Terre de Feu », qui réunit 220 pièces – architecture, peinture, sculpture, photographie, céramique, vannerie… – de plus de 70 artistes, datant de l’époque précolombienne jusqu’à la période actuelle. Sont mises sur le devant de la scène une panoplie de figures mathématiques éprouvées : le triangle fréquemment, ainsi que le carré, tous deux en version souvent démultipliée ; le losange et le trapèze ; parfois le cercle ou la spirale, le motif scalaire, voire « arête de poisson » ou « carapace de tortue ». La géométrisation des formes jette parfois le trouble. Nombre d’œuvres actuelles ne sont pas sans évoquer certains vestiges de la civilisation précolombienne. Ainsi en est-il de la Pirámide de doce cajas apiladas en bois habillée de feuilles d’or du Mexicain Mathias Goeritz ou de cette toile de l’Argentin Guillermo Kuitca représentant le plan d’une prison, Carcel Amarilla. À l’inverse, une stèle sculptée en tuf volcanique – peuples Valdivia, côte Pacifique, aujourd’hui Équateur, environ 3 500 ans av. J.-C.– arbore une forme minimaliste et des traits stylisés à l’allure diablement contemporaine.

Le graphisme reste un médium inouï pour sublimer la composition abstraite, toutes époques confondues. Ainsi en est-il de cette multitude de céramiques polychromes Nazca (100 av. J-C-700 apr. J.-C.), venues du Pérou, dont, à nouveau, l’on pourrait rechercher quelque pendant contemporain, tels ces splendides vases en grès, signés Gustavo Pérez, que l’artiste mexicain a paré de délicates et néanmoins méthodiques incisions.

Ces combinaisons de lignes géométriques, on les retrouve aussi bien au travers des étonnants répertoires de fragments urbains repérés par les photographes Facundo de Zuviria (à Buenos Aires) et Pablo López Luz (au Pérou et en Bolivie), que sur des pièces de vannerie, à l’instar de ces six bâtons de commandement paraguayens de l’ethnie Mbya-Guarani d’Amazonie, entremêlements de fibres végétales bicolores.

Des tatouages à l’architecture

Dans les populations indigènes, l’inscription corporelle, elle, est une coutume séculaire. En témoignent ces clichés d’époque du prêtre et anthropologue Martin Gusinde exhibant les anatomies d’habitants de la Terre de Feu qui, lors de rites initiatiques, se recouvrent d’aplats blancs et noirs. De même avec cette série de cartes postales du photographe italien Guido Boggiani arborant les visages ornés de femmes Kadiwéu (Paraguay, Brésil) ou cette campagne réalisée par son confrère brésilien Miguel Rio Branco, qui documente la richesse des motifs, ainsi que la puissance de la couleur des tatouages et autres peintures corporelles Kayapo, dans l’État de Para (Brésil).

Le trait est organique, mais pas seulement. Avec Carmen Herrera, 103 ans, il peut, a contrario, être franchement rectiligne, quasi chirurgical. Après sa rencontre, à New York, avec l’expressionnisme abstrait et, à Paris, avec le Suprématisme ou le mouvement De Stijl, l’artiste délaisse, dès les années 1950, les formes lyriques pour les couleurs tranchées, les contours précis et les contrastes forts, tel que le montrent, ici, plusieurs toiles, dont Camino Rojo [en français, le chemin rouge]. Le « chemin » peut aussi être multicolore, à l’instar de l’installation textile éblouissante et aérienne Brumas de la Colombienne Olga de Amaral, forêt de fils bariolés suspendus comme par mystère, une œuvre à la fois élémentaire dans sa forme et complexe dans sa perception, mixant la culture précolombienne aux principes chers au Bauhaus.

L’architecture, évidemment, n’est pas en reste, du moins sa représentation s’entend. D’un côté joyeuse, avec la production du Bolivien Freddy Mamani Silvestre, 47 ans, lequel essaime dans sa ville natale d’El Alto, près de La Paz, une flopée d’immeubles de briques qu’il habille de façades et d’intérieurs aux ornements géométriques et aux couleurs chatoyantes, un style « néo-andin » à l’exubérance un peu kitsch, inspiré par les motifs de textiles andins et l’esthétique des constructions pré-inca [voir illustration]. De l’autre, davantage épurée, chez Solano Benitez et Gloria Cabral (Asuncion, Paraguay), duo promu Lion d’or à la Biennale d’architecture de Venise de 2016, lequel développe, depuis deux décennies, un principe de claustras de briques et de ciment afin de concevoir des constructions aussi stupéfiantes que raffinées, dont la structure triangulée façon château de cartes qu’ils développent, ici, pour l’occasion, est un subtil écho.

À l’instar des édifices imaginaires faits de myriades de tiges en inox de l’Argentin Leon Ferrari, la vingtaine de sculptures de métal de la Vénézuélienne Gego est d’une poétique splendeur. Comme si ses propres esquisses arachnides se déployaient soudain dans l’espace tridimensionnel, telles des explorations ultimes des possibilités de la ligne.

Géométries Sud, du Mexique à la Terre de Feu,
jusqu’au 24 février 2019, à la Fondation Cartier, boulevard Raspail, 75014 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°512 du 30 novembre 2018, avec le titre suivant : La forme géométrique dans l’art sud-américain

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