BELGIQUE
Un chiffre d’affaires en constante progression, des maisons de ventes internationales et françaises solidement implantées, le marché belge reste attractif.
Belgique. Dans le classement Artprice 2023 des pays par produit de ventes aux enchères de Beaux-arts, la Belgique figure au 14e rang mondial, avec un chiffre d’affaires qui est passé de 18,7 millions d’euros en 2000 à 64 millions en 2023 – année historique. Le plat pays a même enregistré 10 millions de plus qu’en 2022. La maison De Vuyst (Locres), premier opérateur belge, qui organise 3 grandes ventes par an d’environ 600 lots chacune, pour un chiffre autour de 15 millions d’euros en 2023, atteste de cette croissance : « Notre chiffre d’affaires a augmenté d’environ 20 à 30 % les 10 dernières années », souligne Guy De Vuyst. Internet, qui a démocratisé et médiatisé le monde des enchères, n’y est pas étranger.« Mais ce n’est pas la seule explication. Selon nous, la raison principale est la sélection rigoureuse des lots proposés, l’élargissement de la clientèle, l’intérêt international croissant, mais surtout les clients fidèles qui nous font confiance », estime le commissaire-priseur.
Bernaerts (Anvers) a totalisé 5,7 millions d’euros au marteau en 2023. « Les 5 dernières années, nous sommes passés de 3,5 millions d’euros par an à 5,5 millions. Ce bond en avant s’explique par moins de lots présentés et une augmentation de la qualité. De 10 ventes, nous sommes passés à 4 ou 5 par an », rend compte Peter Bernaerts, dont la société a adjugé l’œuvre la plus chèrement vendue en Belgique depuis l’an 2000, L’Oiseau de ciel, de René Magritte, 1966 (3,4 M€, en mai 2003). « Effectivement, ces dernières années, il y a eu un recul des galeries au profit des ventes publiques. Cependant, j’observe que les grandes ventes se font à Paris et non à Bruxelles », lance l’avocat belge Yves-Bernard Debie.
Il est vrai que la Belgique reste encore loin de la France (814 M€) – ou de l’Allemagne (344 M€) –, mais le pays ne compte pas autant d’opérateurs qu’en France (460) et, dépourvu d’une autorité de régulation, comme le Conseil des maisons de ventes, il ne dispose pas de chiffres officiels.
Depuis une dizaine d’années, une poignée de maisons françaises se sont implantées en Belgique. S’internationaliser aux portes de l’Hexagone s’avère plus simple (et moins coûteux) que de s’installer à New York. Dans la majorité des cas, elles n’y ont ouvert qu’un bureau, Paris n’étant pas si loin. C’est le cas d’Artcurial, depuis 2012 et Aguttes depuis 2019. Outre Piasa, qui y organise depuis 2018, 3 ventes par an, deux maisons françaises ont ouvert une salle des ventes. C’est le cas de Millon, dès 2012, devenu en 2017 Millon Belgique, après son association avec le commissaire-priseur Arnaud de Partz, avec 10 à 15 ventes cataloguées organisées par an. En 6 ans, l’antenne bruxelloise est passée de 4,8 à 8,5 millions en 2023. Bonhams, qui n’avait qu’un bureau depuis 2009, a désormais une salle des ventes grâce à sa fusion avec Cornette de Saint-Cyr. L’enseigne française s’y était installée en 2012. Aujourd’hui, une dizaine de personnes y orchestrent une quinzaine de ventes par an, qui ont rapporté 9 millions d’euros en 2023 (contre 6,5 M€ il y a 10 ans).
Les installations outre-Quiévrain semblent se poursuivre : Ader ouvrira d’ici la rentrée prochaine une salle des ventes. « Nous avons décidé d’accélérer la croissance du groupe et avons choisi en priorité de nous implanter à Bruxelles. Il y a un vrai potentiel là-bas, sans compter que nous y avons une personne de confiance », annonce David Nordmann, commissaire-priseur chez Ader.
Quant à Sotheby’s et Christie’s, même si elles n’y ont jamais ouvert de salle de ventes, elles ont un bureau à Bruxelles, tout comme Phillips à Anvers. Sotheby’s fête même ses 50 ans de présence en Belgique. « Au cours des 10 dernières années, le nombre de nos clients belges a doublé et, en 2021, les pièces vendues par les collectionneurs ont rapporté plus de 100 millions de dollars [92 M€] », se réjouit Emmanuel Van de Putte, directeur de Sotheby’s Belgique-Luxembourg. Christie’s, elle, y est établie depuis 1976, et a inauguré en début d’année de nouveaux locaux. Grâce à cette présence, les enchérisseurs et acheteurs belges ont augmenté respectivement de 28 et 150 % dans ses ventes luxe et art africain, depuis 5 ans.
La Belgique aurait le plus grand nombre de collectionneurs d’art au monde rapporté à sa population. « Bruxelles est une place attractive car il y a énormément de collectionneurs en Belgique », confirme Arnaud de Partz. Certaines spécialités y ont même le vent en poupe. « Ici, la BD et l’art belge marchent fort, la majorité des acheteurs étant belges », ajoute-t-il. Il orchestre aussi des ventes d’art asiatique et de bijoux, tandis que Bonhams Cornette de Saint Cyr y organise des ventes d’estampes, de mobilier et objets d’art, d’art belge, d’art moderne et contemporain et de design.
C’est aussi un emplacement géographique stratégique. « Être là-bas nous permet d’avoir un accès plus aisé au nord de l’Europe, surtout à l’Allemagne et aux Pays-Bas, nous apportant ainsi davantage de clients », rend compte Wilfrid Vacher, directeur de Bonhams Cornette de Saint Cyr Bruxelles. Et puis avoir un pied en Belgique, « cela nous permet de sourcer des œuvres », ajoute-t-il.
Mais ces installations soulèvent un problème récurrent en Belgique : « Ces maisons, et notamment le duopole anglo-saxon, récupèrent les meilleures pièces pour les vendre ensuite à Paris, Londres ou New York. On se sent un peu dépossédés », se plaint un commissaire-priseur belge. Sotheby’s Londres n’avait-elle pas vendu le dernier tableau de Johannes Vermeer encore en main privée qui appartenait au baron belge Frédéric Rolin (adjugé 24 M€ en 2004) ? Conséquence de cette migration, les artistes locaux se vendent mieux ailleurs et ne profitent pas au marché belge. « Plusieurs lots ont été dénichés par nos experts sur place, notamment “La Saveur des larmes”, de René Magritte (1,6 M€ en juin dernier) et “Tintin en Amérique”, de Hergé, (2,2 M€) en février 2023 », indique Artcurial. Ce que confirme Wilfrid Vacher : « Il est vrai que si nous avons un Magritte, a priori, il part soit à Londres, soit à Paris. »À moins que le client ne demande expressément que l’œuvre soit vendue sur place.
« Malheureusement, tous les grands maîtres modernes (Ensor, Magritte…) sont vendus à Londres et New York. Mes parents se sont battus contre l’exode des œuvres belges. Je ne peux décemment pas dire que la présence du duopole tire le marché vers le haut, mais disons que nous ne regardons pas dans l’assiette des autres », se désole Peter Bernaerts.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
En Belgique, le marché des ventes publiques prend de l’ampleur
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°626 du 2 février 2024, avec le titre suivant : En Belgique, le marché des ventes publiques prend de l’ampleur