Un député veut supprimer l’inaliénabilité du droit de suite et en autoriser la cession à titre gratuit. Les motifs avancés n’apparaissent pas avérés.
PARIS - Le 12 septembre, une proposition de loi a été déposée par le député UMP Daniel Fasquelle visant à supprimer l’inaliénabilité du droit de suite et à en autoriser la cession à titre gratuit. L’adoption de cette loi n’est pas acquise tant elle suscite déjà interrogations et scepticisme. Actuellement à l’étude par la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, son adoption éventuelle précédée des discussions et votes des deux chambres du Parlement ne manquera pas de susciter de vives réactions dans le monde de l’art.
Est-il besoin de le rappeler, le droit de suite permet à l’auteur d’œuvres plastiques et graphiques de percevoir un pourcentage qui va de 0,5 % à 4 % du prix de vente d’une œuvre, lorsqu’un professionnel du marché de l’art intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire (Code de la propriété intellectuelle, art. L.112-8). À la mort de l’artiste, le droit est transmis à ces successibles pendant soixante-dix ans. Or ce droit possède une forte valeur symbolique : honni des intermédiaires du marché de l’art, qui voient en cette charge financière une énième contrainte à la flexibilité du marché de l’art ; loué par les artistes, très attachés à ce qu’ils considèrent comme une juste participation aux fruits de leur notoriété.
Les motifs de cette proposition de loi restent obscurs. L’auteur explique qu’elle n’est pas la conséquence des pressions d’un lobbying, mais d’un conseil de l’éminent professeur Pierre-Yves Gauthier. Il entend selon lui par cette réforme, d’une part, « réduire les distorsions entre les pays de l’Union » ; d’autre part, mettre un terme à « l’effet liberticide de l’inaliénabilité de ce droit ». Au-delà des querelles partisanes, il convient tout d’abord d’apprécier l’adéquation de la réforme avec les motifs évoqués, avant de rechercher, au regard de la vox populi nécessairement à l’origine de la proposition d’un député, les réformes envisageables.
Entre motifs avancés et reproches avérés
« Autoriser l’aliénation de ce droit à titre gratuit pour harmoniser les législations au sein de l’Union et rendre ce droit moins liberticide… », l’idée peut séduire. Si ce n’est qu’une directive européenne a déjà réalisé cette harmonisation (dir. 2001/84/CE du 27 septembre 2001). Certes, cette directive autorise la transmission de ce droit aux « ayants droit », mais elle laisse à chacun des États membres le soin de déterminer cette notion. L’affaire « Dalí », citée par le député Fasquelle comme l’illustration des distorsions de régime du droit de suite (arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 15 avril 2010, affaire C-518/08), révèle effectivement des disparités, non du droit de suite, mais du droit des successions dont relève cette notion dans les pays de l’Union : notion particulièrement ouverte en Espagne, étroite en France, et totalement fermée en Autriche et au Pays-Bas… Dès lors, une nouvelle réforme du droit français sur ce point rapprocherait le droit positif français du droit espagnol, mais l’éloignerait d’autres législations. La réduction des distorsions ne peut donc être réalisée qu’au niveau de l’Union et l’on voit mal comment justifier la suppression de l’inaliénabilité de ce droit acquis.
Concrètement, le caractère inaliénable du droit apparaît comme une nécessité économique et juridique. Une nécessité économique tout d’abord, car il rétablit un équilibre entre artistes et galeries en protégeant l’artiste et ses ayants droit ; et parce que le droit de suite est la seule source de rémunération pour l’artiste après la vente de ses œuvres (en raison de la nature de l’œuvre, pièce unique ou en nombre limité, les ressources tirées de l’exercice du droit de reproduction ou de représentation sont quasi inexistantes).
L’inaliénabilité apparaît ensuite comme une nécessité juridique, car, loin de limiter le droit subjectif, elle le protège au contraire. Historiquement, ce droit a une vocation alimentaire que l’inaliénabilité garantit. Et le Conseil constitutionnel l’a tout récemment rappelé : « Pour conforter cette protection [des artistes], le législateur a prévu [que ce droit] serait inaliénable, préservant ainsi l’artiste contre toute aliénation anticipée » (Question prioritaire de constitutionnalité du 28 septembre 2012, décision no 2012-276). La liberté n’est autre en effet qu’un droit subjectif garanti par le droit positif. Cela infère des limites à ses prérogatives (l’inaliénabilité en l’espèce) et autorise les mesures de protection contre l’ingérence des autres citoyens. Le fait que la transmission proposée ait lieu à titre gratuit ne protège pas plus l’artiste, puisqu’il pourrait alors être invité à consentir cette transmission par un marchand peu scrupuleux, comme une des contreparties à la promotion de ses œuvres. Enfin, la condition de la manifestation de la volonté de l’artiste, présentée par l’auteur de la proposition de loi comme une mesure de protection de l’artiste, n’ajoute rien à notre système juridique, puisque cette obligation est déjà inscrite à l’article 1108 du code civil comme condition de validité des contrats. Manifestement, si les motifs réels de cette réforme sont ceux avancés, ils n’apparaissent pas avérés. Or le malaise demeure. Pas une année ne passe sans que ce droit suscite velléités de réforme ou résistances de la part des galeristes et opérateurs de ventes volontaires. Comment comprendre ces réticences ?
Un désir légitime de changement mais un objet erroné
Le droit de suite est mal aimé. On lui reproche en effet de porter atteinte à la compétitivité de la France et d’augmenter substantiellement les prix. Ces arguments peuvent être tempérés. Le poids financier de ce droit est faible, voire très faible. Concrètement, en 2011, il concerne 0,4 % des ventes en France et ne vise, du fait de sa limitation dans le temps, que l’art contemporain. Une étude récente révèle que sur les 25 000 artistes répertoriés à la Maison des Artistes, 1 585 seulement en sont bénéficiaires. Seuls 7 % d’entre eux ont reçu plus de 5 000 euros, et douze d’entre eux seulement sont des artistes vivants. Statistiquement, le droit de suite n’a donc que peu d’incidences financières sur le marché. S’agissant des risques de délocalisation, il est acquis que les vendeurs donnent la préférence aux places qui permettent d’espérer le prix de vente le plus élevé, lequel varie selon la nature, l’origine et la période de l’œuvre d’art considérée.
Toutefois, le droit de suite dérange les professionnels du marché de l’art, et pas seulement parce qu’il augmente le prix de cession. Il irrite car il s’ajoute à d’autres éléments : une situation de crise économique, des pays émergents sur le plan artistique extrêmement dynamiques et surtout un système fiscal français dont la complexité et le caractère aléatoire constituent une réelle entrave. Le régime de la TVA sur les cessions des œuvres d’art, quoique intéressant pour qui arrive à le gérer, est le plus abscons qui soit ; et la TVA à l’importation est régulièrement présentée comme une aberration économique. Voilà les réformes qu’il faudrait envisager : simplifier, uniformiser et modérer ces droits, pour que l’exception culturelle française ne soit pas qu’une antienne répétée à l’envi mais ignorée en pratique. Le droit de suite est un droit d’auteur, et un droit acquis, dont la mise en cause ne paraît nécessaire ni d’un point de vue économique, ni d’un point de vue éthique. En revanche, la lassitude des professionnels du marché de l’art doit être entendue pour que soit proposé un cadre fiscal et juridique adapté.
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Droit de suite : Une nouvelle proposition de réforme
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°379 du 16 novembre 2012, avec le titre suivant : Droit de suite : Une nouvelle proposition de réforme