Ventes aux enchères

Dorotheum se développe sans tapage

Par Frédéric Therin, correspondant à Munich · Le Journal des Arts

Le 27 février 2020 - 1081 mots

VIENNE / AUTRICHE

Fondée en 1707, la plus importante maison de ventes d’Europe centrale progresse d’année en année, évitant soigneusement la confrontation avec les géants du secteur.

Exposition sur les maîtres de la peinture ancienne à l'intérieur de la maison de ventes Dorotheum à Vienne en Autriche. © Photo G. Wasserbauer.
Exposition sur les maîtres de la peinture ancienne à l'intérieur de la maison de ventes Dorotheum à Vienne en Autriche.
© Photo G. Wasserbauer

Vienne (Autriche). Situé juste derrière la Hofburg, l’ancienne résidence impériale à Vienne, le Dorotheum, ouvert gratuitement au public, est le plus grand palais du cœur de la capitale autrichienne. Inauguré en 1901 par l’empereur François-Joseph en personne sur le site d’un ancien couvent, l’édifice néobaroque tout blanc est imposant avec ses neuf étages et sa surface de 18 000 mètres carrés. À longueur de journée, des curieux poussent pourtant ses portes pour déambuler dans ses salles aux plafonds hauts. Certains regardent des bijoux qu’ils pourraient s’offrir, d’autres viennent faire expertiser des pièces qu’ils souhaitent vendre, des touristes espèrent acheter des cuillères en argent d’un café viennois et de nombreux habitués tuent le temps en admirant des objets précieux. Fondé en 1707, le Dorotheum est une des plus anciennes salles de ventes au monde mais aussi un mont-de-piété où les particuliers peuvent obtenir un prêt sur gage en laissant en dépôt des biens personnels.

Martin Boehme codirecteur de Dorotheum © Dorotheum 2018
Martin Boehm, codirecteur de Dorotheum
© Dorotheum

Dans les années 1920, cette véritable institution en Autriche employait près de 1 500 personnes. Après la chute de l’Empire austro-hongrois au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’aristocratie a en effet vendu là tous ses trésors familiaux. Les enchères des biens d’un des frères de François-Joseph ont duré quatre jours. Après ces années « fastes », l’établissement a vivoté pendant plusieurs décennies. En 2001, soit près de trois cents ans après sa création, le Dorotheum a été privatisé par l’État et cédé à un groupe de sept hommes d’affaires autrichien. Martin Boehm, qui est issu d’une famille présente dans le textile, est un de ces repreneurs et il dirige toujours la société en binôme avec Christoph Dichand dont le père, baron local des médias, était un des plus grands collectionneurs en Autriche. « Je n’ai pas étudié l’histoire de l’art mais l’économie, avoue Martin Boehm. Quand nous l’avons repris, le Dorotheum était très vieillot et peu développé à l’étranger avec des présences uniquement à Bruxelles et à Prague. Notre première décision a été d’ouvrir de nouveaux bureaux en dehors de nos frontières. Dix-huit mois après notre arrivée, nous nous sommes implantés à Düsseldorf puis, au fil des années, nous avons inauguré des filiales à Munich, Milan, Londres et Rome. Cela a représenté un investissement important pour nous, mais cette décision nous a permis d’être ce que nous sommes aujourd’hui, car il nous fallait trouver des acheteurs et des vendeurs étrangers pour nous développer. »

600 ventes par an

Chaque année, la maison dénommée aujourd’hui « Dorotheum » organise 600 ventes dont la moitié sur le Web. Des voitures anciennes aux tapis orientaux en passant par les bijoux, l’art tribal, les vieux fusils, les timbres ou l’orfèvrerie, son catalogue de ventes ressemble à un inventaire à la Prévert. Tous les ans, entre 80 000 et 100 000 pièces sont vendues par cette institution dont les principales spécialités sont les peintures des « Maîtres anciens » et celles du XIXe siècle, l’art contemporain, l’antiquité, l’argenterie, l’Art nouveau, la joaillerie et l’horlogerie. « 70 % de notre chiffre d’affaires annuel, qui est comparable à celui d’Artcurial, provient de nos deux grandes ventes annuelles qui ont lieu en novembre-décembre et en mai-juin, révèle Martin Boehm. Pour les Maîtres anciens, les toiles et les acheteurs proviennent à 90 % de l’étranger. Concernant le XIXe siècle et l’art contemporain, ce taux évolue entre 60 % et 90 %. Pour les petites pièces, notre marché est principalement local mais nous ne souhaitons pas arrêter cette activité, même si elle est moins rentable, car nous sommes une institution au passé ancien. Nous ne voulons pas devenir un temple mais plutôt rester un lieu vivant ouvert à tous. N’importe qui peut donc venir ici pour regarder les objets que nous proposons, ou en faire évaluer un par l’un de nos cent experts. »Les curieux peuvent même acheter à prix fixe, pour quelques dizaines d’euros, certains invendus. Les salles qui proposent ces pièces ressemblent un peu à un marché aux puces avec leurs prothèses de bras en bois, leurs soldats de plomb ou leurs robes d’occasion griffées Prada. Un espace est également consacré à la vente de bijoux modernes, car Dorotheum, avec vingt-sept boutiques, est propriétaire de la plus importante chaîne de bijouterie d’Autriche. Mais ces lieux ne nuisent en rien à la réputation de la plus grande maison de ventes d’Europe centrale et orientale. Bien au contraire.

Pas de course à la croissance

« L’année dernière, nous avons vendu trois œuvres pour plus de 1 million d’euros alors qu’en Allemagne à peine quatre ou cinq pièces ont dépassé ce montant, rappelle Martin Boehm. Notre cœur de cible reste néanmoins le marché intermédiaire supérieur où les prix de vente se situent sur une échelle comprise entre 50 000 et 500 000 euros. Pour être puissant sur ce segment, nous faisons de gros efforts en matière de marketing. Vous ne pouvez pas ouvrir un magazine d’art en Europe sans voir notre nom et nous sponsorisons beaucoup d’événements en Autriche et à l’étranger. »

Depuis 2001, le groupe a doublé ses effectifs mais la course à la croissance n’est pas une stratégie en soi pour ses actionnaires. Des rachats de concurrents plus modestes ne sont ainsi pas à l’ordre du jour. Martin Boehm a pourtant été récemment impressionné par la toute première vente en ligne de bouteilles de vin que sa maison a organisée durant laquelle 94 % des lots ont trouvé preneurs, ceci alors que ses taux de vente atteignent en moyenne 65 % à 80 % pour les Maîtres anciens et entre 55 % et 65 % pour les autres pièces proposées aux enchères.

Dorotheum pourrait aussi ouvrir des filiales dans d’autres pays comme les États-Unis et New York en particulier. « Mais nous ne sommes pas pressés, conclut son directeur général. Nous existons depuis plus de trois cents ans et nous vivons très bien de ce business. Nous préférons afficher des chiffres solides et fiables et enregistrer une croissance stable plutôt que de grandir par grandes étapes. » Les records de vente sans cesse claironnés par Sotheby’s et Christie’s n’intéressent pas non plus cet homme d’affaires. « Les médias ne parlent que des enchères des grosses pièces mais cela ne représente qu’une infime minorité du marché de l’art, s’agace-t-il. L’art entre dans le quotidien d’une partie croissante de la population. Les musées et les expositions n’ont jamais été aussi populaires et de plus en plus de personnes achètent des œuvres pour décorer leur demeure. Ce phénomène est une excellente opportunité pour une maison comme la nôtre. »

Dorotheum,
Dorotheergasse 17, Vienne, Autriche, www.dorotheum.com

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°539 du 14 février 2020, avec le titre suivant : Dorotheum se développe sans tapage

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