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ENTRETIEN

Annie Mattei : « J’interviens comme une détective privée dans les "cold case" »

Commandante de police honoraire de l’OCBC

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 8 mai 2023 - 785 mots

À l’heure où la question de la provenance des œuvres est régulièrement évoquée, Annie Mattei, commandante de police honoraire de l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC [1]) et enquêtrice au Conseil des ventes volontaires (CVV), lance Vol’artanna, une société qui recherche la provenance des œuvres ainsi que les œuvres d’art volées.

Annie Mattei. © Lisphoto Levallois
Annie Mattei.
© Lisphoto Levallois
Quel a été votre parcours  ?

Après avoir intégré la Police nationale (commissariat du 15e arrondissement de Paris) en 1985, puis la Police judiciaire, j’ai rejoint en 1993 l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels. Mon profil intéressait l’Office du fait de mon expérience en commissariat qui nécessite d’être très réactif. En parallèle, j’ai suivi pendant quatre ans les cours de l’Institut d’études supérieures des arts (IESA).

Quelles sont les affaires dont vous êtes le plus fière ?

La récupération en 2004, au Japon, après une minutieuse enquête, d’un tableau d’Alfred Sisley d’une famille spoliée durant la Seconde Guerre mondiale. Cette récupération est particulièrement gratifiante car le recel au Japon n’est pas, comme en France, un délit continu et s’éteint après une année seulement. Il y a eu aussi la récupération en 2000, à l’hôtel Drouot, d’une rare pendule à l’éléphant. Le jour de la vente, nous avons interpellé le voleur qui faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international. Dans son appartement, nous avons retrouvé tous les objets volés dans une prestigieuse galerie londonienne. Quand on récupère un objet et que l’on assiste à l’émotion de son propriétaire, c’est le Graal.

Vous avez ensuite intégré le Conseil des ventes volontaires. À quel titre ?

Après avoir incorporé l’état-major de la Police judiciaire en 2005, j’ai rejoint le CVV en 2010 car les œuvres d’art me manquaient. Je siégeais en tant que commandante de police dans la section disciplinaire du conseil et travaillais main dans la main avec le commissaire du gouvernement. L’affaire la plus retentissante – d’après mes enquêtes de recherches de provenances – a été la fermeture d’une maison de ventes en 2014, à la suite notamment d’enchères fictives de deux cabinets d’André-Charles Boulle.
Lorsque des faits étaient susceptibles d’être caractérisés de délits, nous les dénoncions au procureur de la République, en spécifiant qu’il serait opportun de saisir l’OCBC. C’est d’ailleurs par cette voie qu’a émergé le dossier du faux mobilier du XVIIIe siècle, notamment en ce qui concerne les ateliers et experts mis en cause (à l’exclusion du volet concernant le château de Versailles).

Début 2022, vous prenez votre retraite et créez en juillet Vol’artanna. Quelle offre propose votre société ?

C’est une société de recherche de provenances et d’œuvres d’art volées ou spoliées. Il faut savoir qu’au fil du temps, les services spécialisés en la matière se consacrent davantage aux affaires récentes. Dès lors, les plus anciennes peuvent devenir des cold case car le Parquet en vient à clore des dossiers non résolus. C’est là que j’interviens, comme une détective privée dans les cold case. Pour les œuvres volées pendant la guerre, le sujet est d’actualité. Je pense que ma société s’y prête particulièrement. En ce moment, mes clients sont des particuliers à la recherche de leurs biens volés. Les dossiers ne concernent que des tableaux, mais cela peut intéresser tout type d’objet et les institutions aussi.

Qui sont vos concurrents ? L’Art Loss Register ?

C’est davantage une base de données d’objets volés et spoliés. Mes concurrents directs sont des particuliers, eux-mêmes chercheurs de provenance. En raison du nombre important de biens culturels à retrouver, toute concurrence reste positive. Et en ce qui me concerne, je pense que mon parcours me confère une certaine légitimité.

Quel regard portez-vous sur le marché de l’art ?

Je ne suis pas un acteur en tant que tel du marché mais j’y suis confrontée. Depuis mes débuts, il a vraiment évolué, grâce à la mondialisation, la médiatisation et une certaine ouverture. J’ai l’impression qu’il ne se porte pas mal. Un marché de l’art en trompe-l’œil, c’est comme ça que je le vois : d’un côté, il y a les adjudications des méga-maisons de ventes, des méga-galeries et des méga-collections – qui gonflent les chiffres –, et puis il y a le reste. Mais globalement, le secteur du mobilier et des objets d’art se maintient. Surtout, je retiens que les ventes en ligne sont établies une fois pour toutes, malgré le scepticisme des débuts. Elles vont coexister avec les ventes physiques, car le contact reste important. Quant aux NFT, c’est ingénieux, mais je m’en méfie. Et je crois que c’est un peu en train de péricliter. Pour moi, ce n’est que de la spéculation, ce n’est pas vraiment de l’art.

[1] L’OCBC est aujourd’hui dirigé par le colonel Hubert Percie du Sert, nommé en août 2022, à la suite du colonel Didier Berger.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°610 du 28 avril 2023, avec le titre suivant : Annie Mattei : « J’interviens comme une détective privée dans les “cold case” »

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