Auteur, comédien, metteur en scène, le médiatique directeur du Festival d’Avignon en est aux commandes depuis quatre éditions. Alors que la programmation fait la part belle aux grands thèmes de société, il regrette que le secteur culturel n’ait pas porté une parole politique plus unifiée à l’occasion de l’élection présidentielle .
Avignon. Soixante-dix ans après l’intuition de Jean Vilar et sa « Semaine d’art dramatique », la cité des Papes incarne aujourd’hui le théâtre en totalité, de la création contemporaine savante, dans la cour d’honneur du Palais des papes, aux cabarets populaires des petites salles du festival « off ». Avignon est au théâtre ce que Bayreuth est à Wagner et le Maracaña au football : une histoire fusionnelle et torturée entre un lieu, un événement et un art. Olivier Py, premier artiste à diriger le Festival depuis la mort de Jean Vilar en 1971, nous reçoit à une table de café. Celui qui considère le théâtre comme « le plus haut geste politique » revient sur ce printemps électoral écoulé.
Il ne s’étonne ni ne s’alarme du peu de place que la politique culturelle a tenue dans le débat public. Il estime plutôt, « connaissant [le président Emmanuel] Macron, qu’il a gardé sous le coude ses idées culturelles ». Il trouve « un peu gadget » la proposition du « passe culture » pour les jeunes, prévoit que les 500 euros « finiront dans les poches de Disney ou Hollywood », mais concède que tout ce qui incite à une consommation culturelle est bienvenu. Il regrette que le secteur culturel ne se soit pas mobilisé pour faire entendre une voix et livrer une vision, « un projet esquissé par des professionnels et sur lequel les candidats auraient pu s’appuyer ». « Nous n’avons pas rédigé de Livre blanc, et je me le reproche tous les jours », déclare-t-il sans fausse modestie. Aurait-il aimé être la figure de proue de ce mouvement ? Non, il s’estime être une personnalité « trop clivante ». Tout Olivier Py est là : ce trublion médiatique, imprévisible, oscillant entre goût de la provocation et penchant moral, revêt volontiers les atours de l’intellectuel français qu’on aime détester. Il a pourtant des idées claires sur la politique culturelle à mener sous ce quinquennat naissant. « D’abord, il faut parler éducation. L’école de la République est en déshérence et sans elle, pas de culture, pas de spectateurs, pas d’art. L’autre enjeu, c’est la décentralisation, qui s’est grippée récemment, avec les baisses de dotation. Décentralisation et éducation sont les deux piliers de la démocratisation culturelle, et ils sont en danger comme ils ne l’ont pas été depuis soixante ans. » Malgré ce catastrophisme assumé, il se réjouit sincèrement de l’arrivée de Françoise Nyssen à la Rue de Valois : « le meilleur antidote aux poisons du parisianisme. Avec son école du Domaine du possible, elle possède une sensibilité entre le monde artistique et l’éducation, ce qui est une nécessité. J’ai souvent plaidé pour qu’il existe quelque chose de plus construit entre ces deux ministères, et elle sera la bonne personne pour y parvenir ». De la bouche de celui qui dirige un festival souvent taxé d’élitisme, la déclaration peut surprendre. Elle est pourtant cohérente avec le tournant pris depuis son arrivée. Le nombre de places gratuites a presque doublé pour atteindre environ 50 000 sur les vingt jours de festival, auxquelles s’ajoutent les quelque 120 000 billets qui seront vendus en 2017. L’âge moyen du spectateur, étudié chaque année par l’université d’Avignon, est de 46 ans. « Un tiers du public est local, contrairement aux idées reçues. » Enfin, les projets menés avec les écoles locales, notamment ceux utilisant « la FabricA », le nouveau lieu permanent et modulable de création laissé par ses prédécesseurs, vont dans le sens de cette ouverture. « Le Festival reste une structure pensée pour le temporaire, pourtant Olivier Py s’attelle à une action culturelle presque pérenne », note avec une pointe d’admiration Bernard Faivre d’Arcier, directeur deux fois, durant les années 1980 puis entre 1993 et 2003.
Mais pour celui qui veut faire du théâtre un outil d’émancipation sociale, les résultats ne seront possibles que grâce à un plus fort investissement. Sa position est en décalage avec l’injonction ministérielle faite aux grandes institutions, poussées vers plus d’autonomie. « On a conçu des institutions magnifiques, mais on ne met pas d’essence dans le moteur. J’ai fait des économies sur tous les coûts fixes, à l’Odéon comme à Avignon, mais comme les frais augmentent, les moyens de production baissent, c’est mécanique. Or, je pourrais vendre 100 000 billets de plus si on m’en donnait les moyens à Avignon ! »
Il porte un regard ambivalent sur les arts visuels. D’un côté, il se réjouit que la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine invite les écoles à davantage de pluridisciplinarité. « Et c’est logique, il suffit de regarder [la Biennale d’arts visuels de] Venise, c’est la théâtralité de l’art qui retient aujourd’hui l’attention. » D’un autre côté, il s’agace de la financiarisation du marché de l’art et exalte l’éthique du théâtre, « qui ne rendra jamais personne riche ». Il n’aime pas le concept de « “curateur”, à la prononciation d’ailleurs insupportable en français. Il faut éviter de transposer cette notion au théâtre, il faut laisser des artistes aux commandes des institutions». Cette année, Ronan Barrot est le plasticien invité du Festival. Il fait suite à Guillaume Bresson, Sophie Calle, Adel Abdessemed… « L’idée n’est pas de faire venir des stars, mais des artistes qui comprennent le Festival et le traduisent dans une affiche, puis dans une exposition au couvent des Célestins. Certains artistes que j’ai appelés ne savaient même pas ce qu’était Avignon. » Au sein de la scène actuelle, il apprécie l’œuvre d’Anselm Kiefer, de Christian Boltanski, mais surtout de Cyprien Gaillard, qu’il aimerait inviter lors d’une prochaine édition : « un artiste qui met la cohérence au service de l’émotion plastique ».
Juste avant de dévoiler officiellement sa programmation 2017, qui parle d’Afrique, de féminisme et de quête d’identité, il a vu son mandat renouvelé jusqu’en 2021. À 56 ans, on l’imagine facilement rempiler pour un troisième mandat, encore plus politique.
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Olivier Py, un militant du théâtre et de l’engagement social
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Abonnez-vous dès 1 €Olivier Py © Photo Christophe Raynaud de lage / Festival d’Avignon
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°483 du 7 juillet 2017, avec le titre suivant : Olivier Py, un militant du théâtre et de l’engagement social