Pour le metteur en scène, qui a menacé
de délocaliser le Festival d’Avignon si le Front national était élu aux municipales, c’est « une folie » de diminuer les budgets de la culture.
L’œil Aux dernières élections municipales, vous avez menacé de délocaliser le Festival d’Avignon qui génère 25 millions d’euros de retombées économiques, pour que cette ville ne bascule pas au Front national. Le maire actuel vous en est-il reconnaissant ?
Olivier Py Non, pas spécialement. Mais ce n’était pas mon but. Je me suis juste efforcé d’être sincère, de garder le cap d’un héritage, composé aussi d’idéaux. Pour moi, il n’était pas envisageable que le festival soit corrompu par d’autres idées. J’ai l’habitude de dire aux Avignonnais : vous avez le droit de voter FN, mais ce ne sera pas sans conséquence. Car beaucoup pensent que la ville n’en serait pas fondamentalement changée. Pourtant si, elle aurait été changée, et nous aurions servi d’alibi, pour affirmer que l’on diabolisait inutilement le Front national.
À peine arrivé à la direction du Festival d’Avignon, vous innovez en embarquant des musées
(le Louvre, le Mucem) dans l’aventure. Pourquoi ?
Des spectacles sont retransmis dans ces lieux sur écran géant dans un souci de démocratisation et de décentralisation. Le Louvre est le plus beau musée du monde et c’est amusant de penser qu’Avignon se décentralise à Paris ! Le Mucem est un endroit que j’apprécie beaucoup, c’est aussi la Méditerranée, mes racines provençales, car je suis né à Grasse. Et ces collaborations montrent que le théâtre trouve une place plus importante dans le monde de l’art, qu’il est reconnu comme une œuvre d’art à part entière.
Considérez-vous que le monde de l’art boude celui du théâtre ?
Le monde de l’art n’a pas une image réelle du théâtre. Il a l’image que renvoie le théâtre privé, un peu boulevard, un peu poussiéreux, alors que le théâtre expérimente toutes les formes culturelles. Il en est d’ailleurs de même pour le lyrique perçu comme un spectacle pour les vieilles dames alors que c’est aussi un lieu d’expérimentation. Cela est d’autant plus paradoxal que le monde de l’art se tourne de plus en plus vers la performance, le live… Certes, le monde du théâtre n’est pas passionné par l’art contemporain. Mais à l’inverse, le milieu de l’art méconnaît le théâtre, difficile il est vrai à appréhender et éphémère. Tout comme il méconnaît l’art lyrique, compliqué d’accès et cher.
Pour réaliser la couverture du programme du festival, vous avez fait appel à un plasticien, Alexandre Singh, qui va également présenter une pièce en Avignon. Comment s’est faite cette rencontre ?
Alexandre souhaitait présenter un spectacle de théâtre à part entière, The Humans. Nous n’avions jamais travaillé ensemble, mais j’ai aimé l’idée qu’il se faisait du théâtre. Les arts se sclérosent s’ils s’enferment dans leur discipline. Regardez Picasso, il a été inspiré par l’écriture musicale des Ballets russes et ces derniers l’ont été par l’œuvre du peintre.
Comptez-vous tisser des liens avec les musées avignonnais, la Collection Lambert ou
le Petit Palais ?
Je l’espère. Le Petit Palais a une collection de primitifs qui n’a rien à envier à ce que l’on peut voir à Florence, mais cette collection reste méconnue, même pendant le festival. Quant à la Collection Lambert, j’aime beaucoup. Fermée pour travaux, elle propose une exposition exceptionnelle de 120 artistes, « La disparition des lucioles », hors les murs, dans l’ancienne prison Sainte-Anne, juste derrière le Palais des Papes [lire le cahier des expositions en Sud Est]. Le lieu en soi vaut le détour, il est sidérant. J’ai beaucoup admiré leur exposition sur les « Papesses » avec des œuvres de Louise Bourgeois, Berlinde De Bruyckere, Kiki Smith...
Achetez-vous de l’art contemporain ?
J’aime l’art contemporain, mais je n’en achète pas. J’achète plutôt des peintures religieuses des XVIIe et XVIIIe siècles. Cela est incroyable, mais ces peintures ne valent plus grand-chose. Il en est de même pour les meubles XVIIIe dont je m’entoure et que je trouve chez les antiquaires. Mais j’apprécie des artistes contemporains comme Guillaume Bresson, Ronan Barrot, Daniel Buren, le mouvement Supports/Surfaces, Niele Toroni, Miquel Barceló, William Kentridge. La question de la lumière est très importante au théâtre ou à l’opéra ; on parle souvent de décor, mais on travaille beaucoup avec l’outil lumière. À ce titre, un artiste comme Soulages nous inspire. De même Kiefer m’intéresse vivement pour son rapport à la nature et son rendu, pour son questionnement politique, ses réflexions sur l’Allemagne : je n’aurais pas écrit Siegfred, nocturne sans lui.
Dans vos mises en scène de théâtre ou d’opéra, vous travaillez en binôme avec Pierre-André Weitz, votre compagnon dans la vie …
Nous sommes complémentaires, c’est une œuvre que nous entreprenons ensemble. Il est à la fois chanteur lyrique et architecte. Pour moi, c’est un plasticien du mouvement, autant que Tinguely.
Vous êtes un artiste complet. Vous sentez-vous « plus » acteur, chanteur, auteur, écrivain, metteur en scène de théâtre, d’opéra… ?
Je suis avant tout poète. Le théâtre, c’est ce à quoi je me suis consacré le plus – j’ai écrit 25 pièces – et ce qui m’est le plus profondément nécessaire. C’est le lieu du poème. Mais pas un lieu obscur, isolé. Nous avons une audience au théâtre.
N’avez-vous jamais été tenté aussi de crayonner ?
Je crayonne beaucoup et j’aimerais faire une bande dessinée un jour ! Il y a deux disciplines artistiques que je pratique en amateur : le piano et le dessin. J’ai d’ailleurs donné à la Bibliothèque nationale de France mes dessins de jeunesse et mes manuscrits.
Exposerez-vous vos dessins ?
J’ai une grande réticence politique par rapport au marché de l’art contemporain. C’est le fric qui décide de la valeur des œuvres sur ce marché, pas le discours critique. Comment porter un jugement sur Koons ou Murakami ? Je suis écrasé par les sommes en jeu ! Le grand avantage du théâtre, c’est qu’on y est absent des logiques financières, on ne rapporte rien, notre œuvre disparaît ; cela nous protège, contrairement au monde du cinéma ou de l’art. Il y a vraiment des questions éthiques à se poser sur les rapports entre art et argent, sur le statut même de l’œuvre.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Mon écriture exprime mon aventure spirituelle, intime, à travers des fictions qui peuvent prendre des formes différentes. Je ne peux m’en défaire même quand mes textes paraissent loin de moi. C’est pourquoi je peux écrire vite. Souvent j’ai dans la tête mon projet depuis des années, je le laisse, j’y reviens… Actuellement, j’aimerais écrire sur Paris, la vie parisienne, avec tout ce qu’elle peut avoir aussi d’abject. Et sur le thème de la Méditerranée, ce qu’est un garçon du Nord par rapport à un garçon du Sud…
Comment est venue l’envie de faire du théâtre ?
J’ai rencontré des comédiens. Et en classe de quatrième, j’avais un professeur de français passionnant, j’allais au cours de manière exaltée. Je suis reconnaissant de cela à l’Éducation nationale. Mes parents n’étaient pas fermés, mais sur la Côte d’Azur dans les années 1970, il n’y avait rien sur le plan culturel. Nous étions loin d’Avignon, plus encore de Nancy ou de Strasbourg, où il se passait des choses.
Le destin semble vous faire un clin d’œil en vous appelant dans une ville provençale, qui plus est, ancienne cité des papes, où chaque chapelle est devenue un théâtre…
Oui, c’est comme si le destin avait une logique. En Avignon, je retrouve mon enfance, mes origines du Sud. Et c’est une grande ville chrétienne, moi qui me pose beaucoup de questions sur la foi. C’est aussi là que j’ai découvert le théâtre, l’engagement politique. Toute ma vie converge en Avignon : j’y suis né spirituellement, artistiquement, avec La Servante, une pièce de huit heures créée en 1995 et qui a été très bien reçue. D’ailleurs, après avoir vécu trente ans à Paris, j’ai acquis un appartement dans un hôtel particulier d’Avignon.
Dès votre première édition en tant que directeur, vous mettez l’accent sur les jeunes, avec un festival pour les enfants, des tarifs pour les étudiants, une webtélé critique pour les adolescents… Pourquoi ?
Parce que la culture, ça sauve des vies ! Ça apprend l’altérité, ça permet des rencontres avec des gens qui viennent d’ailleurs. Nous avons d’ailleurs jumelé le festival avec un collège difficile.
Les budgets octroyés à l’éducation artistique et culturelle aujourd’hui par l’État vous semblent-ils suffisants ?
Non, il n’y a pas assez d’énergie et de moyens mis dans l’éducation et la culture en France, c’est une folie de diminuer ces budgets.
Votre premier festival est aussi plus international, en particulier plus européen. C’est un acte militant aussi ?
Je suis un Européen convaincu, ce n’est pas pour rien que j’ai dirigé le Théâtre de l’Europe pendant cinq ans. Je crois beaucoup à l’Europe du Sud. Nous avions engagé à l’Odéon un projet européen qui trouve un écho dans le festival avec la venue, par exemple, du metteur en scène sicilien Emma Dante. J’ai aussi ouvert le festival à la Grèce dont la scène est passionnante malgré la crise, avec des auteurs qui rendent compte de cette réalité, ainsi qu’au monde arabe, car on a besoin d’un autre regard sur ce territoire que celui renvoyé par le journal télévisé. Et nous accueillons aussi des artistes du Japon, d’Afrique, d’Amérique du Sud, de Nouvelle-Zélande : la dimension internationale du festival est irrévocable. Ma programmation est le fruit de 20 ans de travail, de voyages, de rencontres.
Que pensez-vous du rayonnement de la France ?
En termes de création artistique, il est magnifique ! Comment peut-on imaginer autre chose ? Le déclin de l’art en France, c’est un fantasme à laisser à des Anglo-Saxons dirigés par l’aspect commercial avant tout. Le Louvre Abou Dhabi est un bon outil de rayonnement culturel. Mais ce rayonnement mérite d’être approfondi. Nos ministères de la Culture et des Affaires étrangères font avec des bouts de ficelle.
La décentralisation culturelle est l’un de vos chevaux de bataille : vous paraît-elle suffisante ?
Nous bénéficions d’une belle décentralisation culturelle en France, qu’il s’agisse de théâtres, opéras, musées… Elle n’est pas rouillée, mais il faut toujours la poursuivre. C’est bien qu’il y ait un bout de Louvre à Lens, un morceau de Beaubourg à Metz, que les grands musées se décentralisent ; il faut encore réussir la décentralisation à la périphérie des villes, en banlieue. Mais pour cela il faut des marges financières plus importantes. Dans beaucoup d’institutions culturelles, ces marges sont dévorées par les coûts de fonctionnement. Il convient de remettre de l’essence dans le moteur. Les subventions au festival n’ont pas été réévaluées, et même 7 % des ressources ont été gelées. L’Allemagne, pays très décentralisé, met beaucoup plus d’argent que nous : les Allemands ont des « Comédie-Française » comme de très beaux musées, dans toutes les grandes villes.
L’attractivité aujourd’hui d’Internet, des jeux virtuels, ne contribue-t-elle pas à éloigner les jeunes de la lecture, de la fréquentation de lieux culturels ?
Je ne suis pas anti-virtuel, anti-Facebook, anti-réseaux sociaux. Ce peut être des outils d’enfermement, d’addiction. Mais, les jeunes disposent aussi d’outils admirables pour se cultiver, découvrir. La révolution Internet vaut la révolution Gutenberg. Et puis cela redistribue la carte des compétences et cela me plaît. Ce sont les jeunes qui ont les compétences dans ces domaines et font de la formation aux plus âgés.
Vous n’avez jamais eu envie de vous engager dans un parti politique pour défendre vos idées ?
Je n’ai jamais été encarté, je ne crois pas aux partis politiques, mais à la parole des citoyens, des associations. Le jour où il existera un parti culture et éducation, là je serai encarté ! Au Festival d’Avignon, nous accentuons la présence des think tanks, et nous avons monté un programme quotidien, les Ateliers de la pensée où l’on peut venir écouter des gens intelligents en prenant un verre.
À quoi rêvez-vous pour le futur ?
Sur le plan institutionnel, je ne peux rêver mieux qu’Avignon. Sur le plan artistique, je commence à peine !
1965
Naissance à Grasse
1987
Il entre au Conservatoire national supérieur d’art dramatique
1998-2007
Directeur du Centre dramatique national d’Orléans
2002
Parution de son roman Paradis de tristesse (Actes Sud)
2003
Mise en scène de onze heures de la pièce de Paul Claudel Le Soulier de satin au CDN d’Orléans
2007
Il prend la tête du Théâtre national de l’Odéon
2013
La direction du Festival d’Avignon lui est confiée
Sur scène, le comédien Patrick Floersheim incarne le peintre Rembrandt au soir de sa vie. Il répond à une femme, nommée Stella, qui pourrait être toutes celles de sa vie et de ses tableaux. Elle est incarnée par Céline Duhamel, l’auteure de la pièce, qui l’a adaptée d’un livre intitulé Le Manuscrit de Rembrandt. Il aurait été écrit par le peintre lui-même, comme un testament philosophique sur sa vie, son œuvre accompagné de réflexions sur la création et la mort, puis transmis à un ami à son décès. Il disparaît alors aux mains d’un groupe d’initiés de la Kabbale avant de réapparaître en 1948 grâce à la traduction de l’écrivain français Raoul Mourges. Sur scène, les mots de ce Rembrandt réel ou fictif, en résonance avec le clair-obscur de ses toiles, sont à découvrir dans le off du Festival d’Avignon.
La pièce est programmée durant le Festival d’Avignon au Théâtre Le Petit Chien, du 5 au 27 juillet 2014, 76, rue Guillaume-Puy, Avignon (84), tél. 04 90 85 89 49.
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Olivier Py - Je serai encarté le jour où il existera un parti culture et éducation !
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°670 du 1 juillet 2014, avec le titre suivant : Olivier Py - Je serai encarté le jour où il existera un parti culture et éducation !