La Fondation Louis Vuitton expose, dans une double rétrospective, les travaux « à quatre mains » de ces deux peintres légendaires.
Paris. Il était une fois, dans la ville de New York, deux artistes. L’un, blanc comme la neige, que tout le monde appelait Andy, était une gloire mondiale incontestée. Mieux que quiconque, il a su donner l’image de la société américaine et de ses lieux communs. L’autre, mi-Portoricain, mi-Haïtien, que les amis appelaient Jean-Michel, n’était pas encore célèbre, mais ne doutait pas qu’il le deviendrait. En attendant, il taguait les murs en signant SAMO.
Comme dans toute fable, une fée, du nom de Bruno Bischofberger, fait son apparition. Ce dernier, un des marchands d’Andy Warhol (1928-1987), qui a pris Jean-Michel Basquiat (1960-1988) sous son aile, a une idée de génie, celle d’associer le travail créatif de ses deux poulains. Si cette proposition est acceptée immédiatement par Basquiat, qui admire son aîné – et qui probablement ne manque pas de voir à qui profite cette collaboration –, Warhol, en revanche, semble plus réticent. Toutefois, un peu usé, un peu à court d’idées, plus tout à fait jeune, il se laisse convaincre. À ce stade, on quitte le conte de fées qui devient une réalité. Warhol et Basquiat, mais aussi un troisième larron, le peintre italien Francesco Clemente (né en 1952) produisent des œuvres à six mains.
Devant leur première exposition, la critique fait la moue. Cette réaction n’empêche pas les deux artistes de continuer leur travail commun et de produire entre 1983 et 1985 près de 160 œuvres. Longtemps peu montrées, ces toiles reviennent depuis quelques années sur le devant de la scène avec l’aide active de leur marchand. Faut-il y voir un lien avec la remontée fulgurante de la cote de Basquiat ?
C’est la seconde fois que ces travaux sont présentés par la Fondation Louis Vuitton. En 2018, dans le cadre de l’importante exposition de Basquiat, une salle fut consacrée à un échantillon de cette production. La manifestation récente se veut exhaustive et met en scène pratiquement la moitié des œuvres – trente-huit appartenant à Bischofberger. De plus, on y trouve quelques peintures et dessins réalisés avec Clemente dont les scènes néo-mythologiques n’ont apparemment rien en commun avec les deux autres acolytes. Le parcours s’ouvre sur une toile qui met face à face les deux styles et thématiques fort éloignés : le sigle de la société Arm & Hammer, net et précis fait par Warhol et le visage bariolé de Charlie Parker, qui rappelle déjà les masques africains, réalisé par Basquiat (Arm and Hammer II, 1984-1985). Ici, séparé, le signe choisi par Warhol garde encore sa puissance provocatrice – il semble d’ailleurs qu’au début de leur aventure Basquiat intervenait avec une certaine timidité sur la partie du maître du pop art. Mais il empiète rapidement avec vigueur sur les symboles stéréotypés et répétitifs de son confrère, et séduit par son énergie débordante. Certes, parfois le contraste garde tout son sens. Ainsi, Felix the Cat (1984-1985) est une rencontre étonnante entre le personnage de bande dessinée, repris par Warhol, posé sur une face menaçante peinte par Basquiat. Souvent, plus que de véritables imbrications, ce sont des juxtapositions plutôt relâchées, que l’on constate dans les pièces de cette exposition.
Quelques exceptions tout de même, comme le formidable Taxi, 45th/Broadway (1984-1985), une poignante représentation de discrimination raciale. Ici encore, si la voiture jaune, dessinée par Warhol, y occupe une place importante, le sentiment de vitalité et de rage que dégage cette image est dû aux coulées de peinture noire et blanche, aux inscriptions éparpillées et à la figure improvisée de la personne noire qui hèle en vain le taxi. En somme, si l’œuvre de Warhol reste incontournable pour l’histoire de l’art, ce n’est pas avec cette collaboration qu’elle s’exprime le mieux. Pour Basquiat, c’est une tout autre histoire.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°610 du 28 avril 2023, avec le titre suivant : Warhol et Basquiat, les deux font-ils la paire ?