En 1982, le peintre Jean-Michel Basquiat réalisait un tableau énigmatique, intitulé CPRKR. En dessous de ces consonnes, une couronne, un lieu (le Stanhope Hotel) et une date, raturée.
Enfin, une désignation à ce roi : « Charles The First ». Les héros ont souvent des héros, et, pour Basquiat, le héros en chef, c’était le saxophoniste Charlie Parker, mort dans la chambre de son amie la baronne Pannonica de Koenigswarter, au Stanhope Hotel de New York. Pas le 2 avril 1955, comme il est écrit dans le tableau, mais trois semaines plus tôt. Pourquoi le peintre n’a-t-il pas inscrit la date exacte ? C’est une chose qui fait partie du mystère, voire de l’enchantement. Car cette œuvre est aussi émouvante que fascinante. Pourquoi Basquiat a-t-il voulu rendre un hommage funèbre à Bird ? On dirait une pierre tombale, comme celle qu’il avait souhaité réaliser pour une autre icône, Billie Holiday. De manière plus large, il a inscrit l’histoire du jazz et, en particulier, du be-bop dans ses œuvres, comme celle de certains de ses artistes majeurs. Aux côtés de CPRKR (et non CPRKER), on trouve son complice Dizzy Gillespie (DZYGLPSE) ou le batteur et activiste Max Roach (MX RCH). MLSDVS est là aussi, c’est Miles Davis.
Car, si Basquiat est lié au hip-hop, un mouvement auquel il a aussi apporté sa contribution musicale, et ce, dès le début des années 1980, si les revendications affichées dans sa peinture sont aussi celles de ce mouvement, s’il continue de passionner les rappeurs, c’est le jazz qui a façonné son œuvre et, d’une certaine manière, sa vie aussi. Car de Charlie Parker, il n’admirait pas que la musique : comme lui, il a révolutionné son art, faisant voler en éclats les conventions. Comme lui, il a pris pour principe fondateur de la création la liberté et l’improvisation et, comme lui, il s’est consumé. Son livre de chevet, c’était une biographie du saxophoniste : Bird Lives! The High Life and Hard Times of Charlie « Yardbird » Parker. Le titre dit beaucoup de ce qui a pu le fasciner. Il en gardait plusieurs exemplaires dans son atelier, qu’il offrait à ses amis. « Il n’y a pas de limite à l’art », disait Charlie Parker. C’est aussi la vision de Jean-Michel Basquiat.
Basquiat peignait en musique, toujours. Il avait une immense collection de disques de jazz, on dit qu’il lui arrivait d’en échanger contre des peintures. C’était un goût hérité de son père, il connaissait parfaitement son histoire : l’évolution de cette musique et le statut de ceux qui l’avaient créée, des femmes et des hommes qui avaient souffert de la couleur de leur peau, la même que la sienne. Comme Charlie Parker, comme Billie Holiday, qui entraient par les portes de service parce qu’ils étaient noirs, Basquiat était entré dans le monde de l’art par une porte de service, avant d’en devenir le roi.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°747 du 1 octobre 2021, avec le titre suivant : L’hommage funèbre de Basquiat à Charlie Parker