PARIS
Le « show » d’Andy, au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, navigue entre déjà-vu, pour la plupart des œuvres, et une (re)découverte majeure, avec sa série dénommée « Ombres ».
PARIS - Si 2014 fut l’année Jeff Koons, 2015 est bien celle d’Andy Warhol. Certes, il n’y a pas photo (si l’on ose dire) entre l’empereur du pop art et sa pâle copie. Il n’en reste pas moins que ces deux vedettes attirent les foules. Pour Warhol, la situation n’est pas nouvelle et innombrables sont les expositions qui lui sont consacrées (lire le JdA no 441 [18 sept. 2015], pour « Warhol Underground », qui a lieu jusqu’au 23 novembre au Centre Pompidou-Metz). La manifestation parisienne apporte-t-elle une touche originale à ce monument de l’art contemporain ?
Dès l’entrée, le ton est donné. Une inscription, « L’objet de culte », qui accueille le visiteur, situe parfaitement Warhol dans le panthéon de l’art. Encore faut-il savoir laquelle parmi les œuvres réunies dans cette salle résume le mieux cette icône qu’est l’artiste américain. Son autoportrait (1967) ? le « bloc » composé de ses autoportraits (1966) ? ou sa représentation de profil, ce visage fantôme et son ombre sombre qui sentent la mort ? En réalité, la véritable image de Warhol, c’est la Campbell’s Soup Can, cette boîte de conserve qui relève autant de l’univers de l’artiste pop que de la société de consommation américaine des années 1960. Devenue rapidement le label ultime d’Andy,
Campbell’s… résume à elle seule la trajectoire de la notoriété de celui qui a défié la publicité sur son terrain propre. On le sait, l’œuvre de Warhol reproduit tous les emblèmes américains : bouteilles de Coca-Cola, dollar, Elvis ou Marilyn. Objets de fascination, reproduits à de multiples exemplaires à l’aide de la sérigraphie et de l’impression photomécanique, traités sur un mode ironique, ces lieux communs se transforment en « icônes laïques ». En s’identifiant à ces images universellement galvaudées, l’artiste a définitivement réussi à accéder à la plus large reconnaissance possible.
Objets réels refaits
La manifestation passe en revue les différentes activités de celui qui fut peintre, photographe, cinéaste… Le parcours, thématique, s’ouvre sur les « papiers peints », recouverts de centaines de vaches (la première version date de 1964-1965). La scénographie est inventive ; les commissaires proposent un grand écart en accrochant sur le même mur les fameuses « Chaises électriques » (1964-1971). La banalité absolue se voit court-circuitée (littéralement) par ce spectre effrayant. Le même procédé est employé avec les images de Mao – des dizaines de sérigraphies de tailles variées sont accrochées sur un fond où la même tête, stylisée à l’extrême, est répétée à l’infini. Une mise en abyme qui serait sans doute approuvée par le maître, chez qui les pratiques de la série et du multiple faisaient loi. Avec lui, les images « signes » sont arrachées à l’éphémère et recyclées, ne se déclinant qu’au pluriel.
Défilent ensuite les « Jackie » (1964), cette vision de la détresse qui a fait le tour du monde. Puis les films où Warhol s’arrête sur une image et lui donne une durée inhabituelle. Suivent les fleurs, les seules qui peuvent défier les vaches au concours de la banalité kitsch. Puis, encore, les « sculptures », les boîtes Brillo (1964), non pas des ready-made chers à Duchamp mais des « re-made » (refaits), car ces jumeaux de l’objet réel sont fabriqués sous la surveillance de Warhol.
Puis, puis, puis…, tout y est, même les jouissifs « Silvers Clouds » (1966), des ballons argentés en forme d’oreillers, gonflés à l’hélium et qui flottent, faisant la joie des enfants. Tout est donc en ordre ? On pourrait le croire, tant l’ensemble de l’exposition est impeccable. Cependant, un sentiment étrange de déjà-vu saisit le spectateur. Malgré l’élégance de la présentation, il semble que, pour la énième fois, les commissaires se saisissent de la production plastique protéiforme de Warhol comme on s’attaquerait à un puzzle ou plutôt au fameux Rubik’s Cube qu’il faut manipuler pour tenter de lui rendre son apparence d’origine. Mais peut-être n’est-ce que justice tant cette œuvre se caractérise par l’obsession stylisée de la répétition. Doit-on prendre à la lettre cette déclaration : « Si vous voulez tout savoir sur Andy Warhol, regardez simplement la surface de mes peintures, de mes films et de moi-même. Je suis là. Il n’y a rien derrière (1) » ?
La fin de l’exposition réserve heureusement une surprise. Ce sont les Shadows (« Ombres », 1978), une déclinaison de 102 peintures de près de deux mètres de long chacune, commandées par la fondation américaine DIA. Déployées dans la grande salle du musée, le long d’un mur arrondi, elles forment un ruban, un rideau multicolore somptueux, un paysage semi-abstrait mélancolique en dissolution. Des flammes, des vanités ? Impossible de savoir. Mais, peu importe, car pour Warhol la réalité n’existait pas. Ou plutôt, dématérialisée, elle n’était perçue qu’à travers des images. Bref, des ombres.
(1) Andy Warhol, The East Village Other, 1er nov. 1966.
Commissaires : Sébastien Gokalp, conservateur au MAMVP ; Hervé Vanel, historien de l’art (Paris-I, Panthéon-Sorbonne)
Nombre d’œuvres : 250
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Warhol, la tournée 2015
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 7 février 2016, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, av. du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, www.mnam.paris.fr, tlj sauf lundi et jf 10h-18h, jeudi jusqu’à 22h, entrée 12 €. Catalogue, 246 p., 45 €.
Légende photo
Andy Warhol, Shadows, série de 102 toiles, vue de l'exposition au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris. © Photo : Pierre Antoine.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°445 du 13 novembre 2015, avec le titre suivant : Warhol, la tournée 2015