PARIS
Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris présente, pour la première fois en Europe, l’intégralité des Shadows dans une exposition qui joue du nivellement à l’extrême.
Bien que cette dernière salle monumentale, emportée par une accélération inédite, mérite le déplacement. Pourtant, une énième exposition Warhol avait de quoi lasser. Mais voilà, les cent deux toiles sérigraphiées en dix-sept couleurs différentes, accrochées en continu, sans souffle entre chaque surface, construisent l’imposant polyptyque de Shadows (1978-1979). C’est la première fois que la Dia Art Foundation le fait voyager en Europe. Vue dans les locaux imposants de la fondation américaine dans la vallée de l’Hudson, l’œuvre n’avait pas la même puissance qu’aujourd’hui, magnifiée par l’architecture courbe du Musée d’art moderne de la Ville de Paris. L’analogie avec la pellicule de cinéma – cet art que Warhol pratiqua avec ferveur – y est d’autant plus pertinente que ces formats identiques s’animent sous l’effet de la couleur et de la course des murs. Pour une fois, l’œil ne peut tout englober, et Warhol de se dérober. Certains commentateurs auront beau chercher une origine à cette abstraction, celle-ci résiste.
Désinvolture
C’est bien ce qu’avance l’exposition parisienne concoctée par l’universitaire Hervé Vanel et le commissaire maison Sébastien Gokalp : un Warhol sans évidence. Bien sûr, les aficionados retrouveront Jackie, Mao, des fleurs, les stars des Screen Tests, une salle de Silver Clouds agités par des ventilateurs, le Velvet Underground. Mais le parcours propose aussi de jouer sur les ombres et les impressions, ainsi que l’annonce la salle introductive, rassemblant boîtes de soupe et autoportraits aux ombres de 1981. L’artiste aimait afficher le même soin à représenter les Campbell que son propre visage, jouant du nivellement à l’extrême. C’est bien d’ailleurs ce qui attend le spectateur dans une juxtaposition choquante, d’abord perçue comme un énorme raté : des chaises électriques accrochées sur le papier peint vache. Ô sacrilège ! Acte de bravoure que l’on ne doit pas aux commissaires, car c’est bien Warhol qui s’était lui-même permis pour sa rétrospective au Whitney Museum de New York, en 1971, de torpiller la charge politique et sociale que condensaient malgré lui ses chaises électriques. Les ramener à la surface, à leur statut de motif, en promouvant le large choix de couleurs dans lequel elles étaient disponibles, voilà bien le genre de désinvolture bravache et de dynamitage des critères de goût qu’affectionnait l’artiste. « Warhol Unlimited » montre combien ces combinaisons outrepassent encore aujourd’hui les théories de la réception et de l’accrochage. Et son ombre de réserver un potentiel décidément intact.
Beau livre - Voilà un livre qui s’apparente à de l’archéologie de l’art contemporain. Andy Warhol, Polaroids 1958-1987 documente de manière chronologique, à la manière d’un album de famille, le quotidien de l’artiste américain à travers les photographies instantanées qu’il a obsessionnellement prises de lui (les autoportraits) et de ses amis, des moments de convivialité (le dîner qui réunit Warhol, Pierre Bergé, Yves Saint Laurent, Karl Lagerfeld et Paloma Picasso en 1973) ou d’intimité (le sexe de Gerard Malanga entre les seins de Brigid Berlin en 1969) partagés à la Factory. On y croise des visages connus (Mapplethorpe, Patti Smith, Mick Jagger et sa fille Jade, Leo Castelli, John Lennon et Yoko Ono, David Hockney, etc.) et d’autres oubliés (Viva ou l’actrice Sylvia Miles), sans hiérarchie de notoriété. On y perçoit, en filigrane, le glissement de Warhol qui, de simple catalyseur de la scène « underground » new-yorkaise à la fin des années 1960, accède au fil des années au rang de portraitiste « mondain » photographiant tout ce que le monde compte de stars (Stallone, Grace Jones…) et d’artistes (Bacon, Gilbert & George). On décèle enfin, à travers ces Polaroïds, le goût pour la farce – les grimaces ! – et pour l’expérimentation formelle. Les plus jeunes lecteurs se demanderont, bien sûr, ce qu’est un Polaroid ? On leur dira qu’il s’agit d’un procédé inventé en 1948 par l’Américain Edwin H. Land qui donnait en quelques secondes une image positive sur papier, sans devoir passer par le film pellicule, leur expliquera-t-on. Aujourd’hui tombé en désuétude, ce procédé est remplacé par les téléphones intelligents et leurs extensions virtuelles : Facebook et Instagram. À la lecture de cet ouvrage, véritable « monstre » de 560 pages sous double couverture rigide – dans le jargon, on appelle cela une reliure suisse à double rabat –, on ne peut d’ailleurs que rêver à ce qu’aurait fait Warhol des réseaux sociaux…
Fabien Simode
Andy Warhol, Polaroids 1958-1987, Taschen, 560 p., 74,99 €.
Warhol le marginal, à Metz
EXPOSITION On le croyait naturellement attiré tel un papillon de nuit vers la lumière. « Warhol Underground » au Centre Pompidou-Metz révèle, au contraire, un Warhol confidentiel, au départ tourné vers la création souterraine new-yorkaise, la musique « expérimentale », la danse et le cinéma. L’exposition s’inscrit dans une relecture iconoclaste de l’œuvre de l’artiste entreprise à Montréal en 2008 par Emma Lavigne (directrice du Centre Pompidou-Metz et commissaire du présent accrochage) et par Stéphane Aquin avec l’exposition « Warhol Live ». Celle-ci proposait d’éclairer l’œuvre du pop artiste à partir de la musique, faisant notamment remonter l’origine du punk à la Factory. À Metz, la première salle affiche d’emblée sa différence : exit la débauche de couleurs que l’on peut voir ailleurs, le mur est tapissé de papier aluminium pour évoquer la Silver Factory que Warhol occupa de 1963 à 1967. Des photographies noir et blanc des « acteurs » de la première Factory (Lou Reed et John Cale du Velvet Underground, Gerard
Malanga – son aide de camp ! –, Nico, Ari, etc.) font revivre le lieu, comme le téléphone fixé au mur et le canapé placé à l’entrée, que l’on retrouve dans les photographies de Stephen Shore et de David McCabe. Une fois le décor planté, l’exposition peut dérouler son parcours sans fil, aussi visuel que sonore : la mort tout d’abord, physique (la série des Death and Disaster) et médiatique (les Ten Lizes – l’exposition rappelant que Warhol ne duplique pas l’image d’une star, Liz Taylor, mais, en 1963, d’une icône malade sur le déclin médiatique) ; la sérialité ensuite, dont Emma Lavigne souligne qu’elle a été sciemment empruntée par Warhol à ses camarades musiciens, Philip Glass, Steve Reich, John Cage et, bien sûr, Satie dont il a écouté les dix-huit heures quarante des Vexations en 1963 ; la danse également, dont Warhol était féru (le thème du sommeil, sujet de la vidéo Sleep qui capte le sommeil de John Giorno, est un enjeu chorégraphique dans les années 1960), mais aussi le cinéma et l’industrie du vinyle. Quelques pépites jalonnent l’exposition, comme la salle réservée à Exploding Plastic Inevitable, opéra total sous la forme d’un spectacle filmé projeté sur les quatre murs de la salle et qui superpose la musique du Velvet avec les films de Warhol et les portraits Polaroids tirés des visiteurs de la Factory. Comme une synthèse de tout ce que l’artiste avait assimilé. F. S.
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L’ombre de Warhol plane sur Paris
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Abonnez-vous dès 1 €« Warhol Unlimited »
Jusqu’au 7 février 2016. Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18 h.
Nocturne le jeudi jusqu’à 22 h.
Tarifs : 12 et 9 €.
Commissaires : Sébastien Gokalp et Hervé Vanel.
www.mam.paris.fr
« Warhol Underground »
Jusqu’au 23 novembre. Centre Pompidou-Metz. Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 10 h à 18 h.
Tarif : 10 €.
Commissaire : Emma Lavigne.
www.centrepompidou-metz.fr
Légende Photo :
Vue de la série des Shadows présentée au Musée d'art moderne de la Ville de Paris @ Photo Pierre Antoine / MAMVP
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°684 du 1 novembre 2015, avec le titre suivant : L’ombre de Warhol plane sur Paris