PARIS
Disparu en 1917, Auguste Rodin est le père de la sculpture moderne. L’exposition de ses chefs-d’œuvre inaugure cette commémoration. Au-delà de la simple rétrospective, « Rodin, l’exposition du centenaire », au Grand Palais, est un témoignage magnifique sur l’héritage artistique laissé par le sculpteur.
PARIS - On aurait pu imaginer, pour une exposition commémorant le centenaire de la mort d’Auguste Rodin (1840-1917), une présentation chronologique de sa carrière et de sa vie. Mais qu’aurait-elle apporté que ne présentent pas déjà les deux musées consacrés à l’artiste, à Paris et à Meudon (Hauts-de-Seine) ? Les deux commissaires de « L’exposition du centenaire », Catherine Chevillot, directrice du Musée Rodin, et Antoinette Le Normand-Romain, qui occupa le même poste et reste une spécialiste du maître, ont donc préféré montrer à quel point il a changé, de son vivant, le regard et innervé le travail de ses contemporains et, depuis sa mort, celui d’artistes du monde entier. Elles ont aussi dirigé le passionnant catalogue, indispensable pour avoir une vue d’ensemble sur cette foisonnante exposition composée de 315 œuvres.
Cependant, la structure chronologique n’est pas totalement absente. Une salle d’introduction, donnant le ton, présente des œuvres phares comme L’Âge d’airain (1877), Les Bourgeois de Calais (1889, plâtre récent) et, au fond, Le Penseur grand modèle de 1904 qui dialogue avec deux œuvres qu’il a inspirées : Jeune homme assis (1916-1917) de Wilhelm Lehmbruck et Chose populaire zéro (2009) de Georg Baselitz. Mais tout commence réellement avec « Rodin expressionniste ». On y voit les plâtres de la Porte de l’Enfer (L’Avarice et la luxure, Faunesse à genoux…), des bronzes de la même inspiration (L’Enfant prodigue, Fugit amor…). Aucune explication n’est encore fournie au visiteur qui ne connaîtrait pas Rodin sur ce qu’était le projet de la Porte de l’Enfer : l’objectif est de l’amener à comprendre et ressentir le travail du sculpteur sur la forme.
Un expérimentateur
Objets d’achat ou de commande, les marbres et bronzes viennent appuyer la section « Rodin à la conquête du public », ainsi du Baiser (commande de l’État de 1888). Une autre section, « Les sculpteurs et Rodin », montre l’influence que cette manière expressionniste eut, à partir des années 1890, sur les artistes européens. Le thème des « Vieilles » fait l’objet d’une belle démonstration, réunissant Clotho (1893) de Camille Claudel et Vieille femme (1908) d’Ivan Mestrovic autour de Celle qui fut la belle Heaulmière (1887). Enfin, une salle est consacrée aux dessins noirs – elle est sans fenêtre, le reste de l’exposition étant baigné dans une lumière naturelle qui magnifie les sculptures. À la fin de cette première partie, le visiteur se dirige vers l’escalier. C’est alors qu’il découvre la Porte de l’Enfer.
Le moins que l’on puisse dire est que Rodin est un cadeau pour un scénographe (ici, Didier Blin). Faisant transition avec la deuxième partie, « Rodin expérimentateur », l’escalier monumental du Grand Palais offre un écrin magnifique à l’Homme qui marche sur colonne (1900). À l’étage, Balzac (plâtre, 1898) fait face à La Peur (bronze, 1911-1912) d’Otto Gutfreund, un élève de Bourdelle. Cet espace est dévolu au plâtre, dont Rodin utilisa toutes les possibilités créatives. Il forme une introduction importante à l’aspect développé dans cette partie de l’exposition. Expérimentateur, le sculpteur l’est avec le matériau, mais aussi dans le dessin. Une salle consacrée à l’exposition de Prague (1902) permet de comprendre comment cet aspect de son œuvre a pu être inspirant pour les artistes du XXe siècle. Puis est abordé le nouveau rapport de Rodin avec le public, à partir de l’exposition du pavillon de l’Alma, en 1900. C’est l’époque des déclinaisons des œuvres en marbre ou bronze, conduisant à de nouvelles recherches. Contrairement aux plâtres, restés dans l’atelier, « les œuvres abouties, précisent les commissaires, sont naturellement parties vers des collections extérieures, privées ou publiques ». Ce qui explique que, si la grande majorité des sculptures vues précédemment sont conservées au Musée Rodin, celles-ci viennent de Londres, Lisbonne ou New York. Ainsi du bronze La Martyre, un agrandissement de 1899 d’après l’œuvre de 1885, fondu en 1913 et donné la même année par le collectionneur Watson B. Dickerman au Metropolitan Museum of Art à New York.
Postérité
L’influence à partir de 1900 sur les sculpteurs est évidente dans l’utilisation de fragments ou les jeux avec le socle, comme l’illustrent Le Sommeil (1908) de Brancusi et Petit buste sur colonne (1951-1952) de Giacometti. C’est le testament de Rodin que cette façon de distordre ses œuvres en les amputant, les agrandissant, les recomposant, procédés qui ouvrirent des perspectives à ses successeurs.
La dernière partie de l’exposition, « L’onde de choc », analyse les répercussions plus lointaines de ses découvertes formelles. Alberto Giacometti, Picasso, mais aussi César, Didier Vermeiren ou Barry Flanagan subissent cette influence. Après cette spectaculaire salle, l’exposition se clôt étrangement, par la présentation d’une sélection (certes intéressante) issue d’une collection privée censée nous montrer que Rodin passionne toujours les amateurs. Qui en doutait ?
Rodin, l’exposition du centenaire
Jusqu’au 31 juillet, Grand Palais, entrée Clemenceau, 75008 Paris.
Légende photo
Auguste Rodin, Le Baiser, 1881-1882, marbre de Carrare, Musée Rodin, Paris. © Photo : Musée Rodin / Hervé Lewandowski
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°476 du 31 mars 2017, avec le titre suivant : Rodin fête son centenaire au Grand Palais