PARIS
Artiste et comédien, Jean-Baptiste Seckler se glisse à merveille dans la peau du maître de la sculpture moderne. Un rôle qui lui réussit à plus d’un titre.
Les trois coups traditionnels retentissent. Les lumières s’éteignent. Le rideau se lève. Et nous voilà plongés pour une heure dans les réflexions d’Auguste Rodin, que Jean-Baptiste Seckler incarne depuis bientôt six mois sur scène. Sa pièce, inspirée de lectures diverses, s’intitule tout simplement Le Penseur et a déjà été prolongée deux fois au Théâtre du Gouvernail, dans le dix-neuvième arrondissement. Un succès qui ne surprend pas.
Le texte, de sa composition, repose exclusivement sur des propos de Rodin. Ces citations, regroupées par thèmes, du moulage à la nature, en passant par La Porte de l’Enfer, s’enchaînent parfaitement tant les transitions ont été travaillées. Dans ce flux de pensées apparemment continu, le fantôme de Claudel survient presque immédiatement. « Camille, sois assurée que je n’ai aucune femme en amitié et toute mon âme t’appartient. » Dans l’imaginaire de Seckler, l’élève, la maîtresse surpasse l’épouse, que certains voient pourtant comme le grand amour de Rodin. Rose a tout de même le droit à une apostrophe. « Merci ma féroce amie, car c’est à toi que je dois tout, la part de ciel que j’ai eue dans ma vie. » Hugo, Balzac disparaissent, eux aussi, aussi vite qu’ils sont apparus. Ces fulgurances rythment le monologue.
Au-delà d’un discours directement emprunté à Rodin, décor et accessoires contribuent à la crédibilité de Jean-Baptiste Seckler. Attendus, sa fausse barbe et son lorgnon confèrent une profondeur désarmante à son regard. « Après une année de lectures et d’écriture intensives, je me suis lancé corps et âme dans la fabrication du décor. Il s’agit d’un atelier imaginaire reconstitué à partir de tous les témoignages et descriptions que j’ai pu parcourir ». Chaque objet a sa place sur scène, depuis la bougie qui permet à l’acteur de lire des extraits de correspondances jusqu'au chiffon qu’il utilise pour épousseter ses sculptures. A ce propos, toutes les œuvres présentes, sont signées, sans exception, de la main de Jean-Baptiste Seckler, que ce soit le portrait monumental qui accueille le spectateur à l’entrée, ou bien la Vénus qu’on le voit modeler et remodeler entre deux répliques.
Jean-Baptiste Seckler est, en effet, sculpteur avant d’être comédien. Il façonne majoritairement des visages car rien n’est plus expressif selon lui. De même que Rodin, la beauté plastique ne l’intéresse pas. Seules les imperfections ont grâce à ses yeux. D'où sa tirade sur le non finito. « Les mots de Rodin auraient, pour certains, être les miens », nous confie l’artiste habité par son rôle. La rapidité, l’ardeur, et la précision avec lesquelles il se met à croquer un modèle (dos au public, afin de donner à voir son travail) forcent l’admiration.
L’adresse de ses mains n’a d’égal que la qualité de son jeu. Autodidacte avec une simple formation de deux ans dans l’atelier Corlin, le plasticien ne s’est pas improvisé acteur. En 2006, pour échapper à la solitude de l’atelier, il s’inscrit à l’Ecole d’Art Dramatique Jean Périmony, dont il sort trois ans plus tard avec l’intention de monter sa propre structure. C’est ainsi que Delys Production est née, en 2013, à l’instigation de l’artiste mi-sculpteur mi-acteur et de sa compagne Sakho. Quatre ans plus tard, le couple décide de monter un seul-en-scène (spectacle en solo) à l’occasion du centenaire de la disparition de Rodin.
« Si j’avais été une femme j’aurais joué Camille », déclare Jean-Baptiste Seckler. Une chance qu’il n’en ait rien été. Autrement, Le Penseur, la pièce, n’aurait jamais vu le jour. Deux ultimes représentations auront lieu au Gouvernail, les 23 et 28 février, à 21h. Le sculpteur-comédien-dramaturge a tellement bien mené sa barque que le Théâtre des Brunes lui a accordé vingt dates en plein Festival d’Avignon. Et l’aventure ne s’arrête pas là, puisque L’Essaïon prendra le relais, dès la rentrée scolaire.
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Rodin seul sur scène
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