La sortie du douloureux film « Camille Claudel 1915 » en DVD s’enrichit d’un documentaire éclairant.
Jusqu’alors, celle qui incarnait Camille Claudel au cinéma restait Isabelle Adjani en 1988, dans un film de Bruno Nuytten retraçant la biographie de la sculptrice. En 2013, Juliette Binoche endosse le rôle dans un contexte tout autre que celui des années de création et de passion avec Rodin, pour se concentrer sur la période d’enfermement. Meurtrie par un amour dévorant, et la mort de son père, Camille Claudel s’enfonce dans un désarroi profond qui lui vaudra d’être internée, à la demande de sa famille. Le film de Bruno Dumont raconte les trois jours précédant la visite du poète et auteur, Paul Claudel, cadet de Camille, au cours desquels s’opère une plongée dans l’asile de Montdevergues, près d’Avignon. Des murs derrière lesquels Camille Claudel restera 29 années, jusqu’à sa mort en 1943, à 79 ans. Véritable huis clos, il émane du film une pesanteur morne, où les rares paroles laissent place à d’uniques sons émis par les autres malades. Juliette Binoche ne laissant entendre sa voix intérieure quant à elle qu’à la 25e minute du film, lisant la lettre écrite à son amie, Henriette.
Puis, lors d’une répétition d’une pièce de théâtre jouée par les résidents – dont l’histoire fait écho à celle vécue avec Rodin – survient à la 55e minute le frère, Paul (joué par Jean-Luc Vincent), tant attendu, dénué d’empathie et de chaleur, professant : « Dieu permet l’expérience, Camille. Il retire la main. Il nous laisse tomber dans le péché pour vérifier les secrets de sa sagesse. ». De quoi s’interroger sur le pouvoir destructeur de la famille : malgré les conseils du médecin incitant Paul à reprendre sa sœur auprès des siens, Camille y restera plus de vingt années ; mais aussi sur l’éventualité d’une rivalité sous-jacente d’un frère à l’égard d’une sœur créatrice ou sur les droit limités des femmes de l’époque. Le teint blafard, meurtrie de douleur, Juliette Binoche joue admirablement, tandis que Dumont filme le quotidien répétitif et ennuyeux de ce cloître, où le temps s’étiole. Il souligne aussi le décalage abyssal entre l’état de santé de Camille Claudel et celui des autres patients manifestement là pour des raisons différentes.
Pour accompagner le film, en bonus : le documentaire de 50 minutes réalisé par Sasha Wolf qui narre l’envers du film (genèse, direction d’acteurs,…) tourné au sein même d’un véritable hôpital psychiatrique, et raconte les moments de répétition avec les patients (devenus acteurs), et infirmières (dans le rôle des sœurs, mais également précieuses interfaces entre le réalisateur et les patients). Pour Juliette Binoche aussi les repères seront bousculés par le jeu improvisé attendu par Dumont. Une addition de « premières » qui donne lieu à un film intense, dont l’épaisseur s’accroît à la lumière des conditions de fabrication.
Bruno Dumont, Camille Claudel 1915 (90mn), accompagné du documentaire Camille Claudel 2012 de Sasha Wolf (50 minutes). En DVD, chez Universal.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Camille Claudel cloîtrée
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°396 du 6 septembre 2013, avec le titre suivant : Camille Claudel cloîtrée