Art moderne

XXE SIÈCLE

Picasso, ce mangeur d’images

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 29 juillet 2024 - 651 mots

PARIS

Le musée parisien consacré à l’artiste explore son riche répertoire iconographique et son mode d’appropriation de ces images sources, au risque de noyer son visiteur.

Paris. On conseille vivement au visiteur de l’exposition « Picasso iconophage » la lecture de son catalogue, très complet, qui analyse les diverses sources d’inspiration du maître. Les auteurs y proposent un aperçu de la manière dont l’artiste a combiné, sans hiérarchie aucune, les images qui nourrissaient son répertoire iconographique. Une tâche herculéenne, car il faut du courage – ou de l’inconscience – pour s’attaquer à Picasso. Comme l’écrit dans ces pages Cécile Godefroy, responsable du Centre d’études Picasso au musée et commissaire avec Anne Montfort-Tanguy, conservatrice au Musée national d’art moderne-Centre Pompidou : « Aborder l’œuvre de Picasso, c’est nécessairement se confronter à un tourbillon de données et d’images […] Des milliers de peintures, dessins, estampes, sculptures, céramiques, poèmes et carnets de dessins constituaient le fonds d’atelier Picasso à sa disparition. »

Mais, face à ce « tourbillon » – ou tsunami – de travaux et documents recouvrant les murs, le spectateur a l’impression de se noyer. Autrement dit, la démonstration visuelle peine à atteindre la qualité de l’approche théorique.

Pourtant, l’introduction du parcours est pertinente, avec une toile emblématique du peintre espagnol : Études (1920). On peut parler d’un collage pictural qui juxtapose un profil féminin d’inspiration néoclassique, des natures mortes cubistes et un couple de danseurs de la main d’Auguste Renoir. Ce puzzle, sans aucune logique formelle ou thématique, illustre parfaitement le principe de l’association libre picturale pratiquée par Picasso.

Le Minotaure, image de la pratique hybride picassienne

L’exposition est articulée autour de cinq sections indépendantes : « Minotaure », « Héros », « Voyeur », « Atelier » et « Mousquetaire ». Le Minotaure est sans doute l’exemple le plus riche d’un thème qui traverse tout l’œuvre du peintre. Cet animal monstrueux, mi-homme mi-taureau, est l’image même de la pratique hybride picassienne. Autour du splendide Minotaure courant (1928), une des rares peintures majeures de Picasso ici, on peut trouver, pêle-mêle, une reprise d’un taureau rupestre dessiné par l’abbé Henri Breuil, le Cheval attaqué par un lion de Théodore Géricault ou encore des représentations de la tauromachie par Goya. Peut-on vraiment comprendre à l’aide de ces fragments que le Minotaure est l’animal dans lequel Picasso n’a cessé de projeter les références à lui-même ? Les apparitions fréquentes de ce représentant d’un bestiaire naturel et imaginaire s’expliquent par la volonté de Picasso de revendiquer la part de la nature animale chez les êtres humains – chez lui, en particulier. Comment le signifier ? Il aurait fallu montrer au moins une de ces scènes magnifiques et terrifiantes du Minotaure étreignant ou plutôt violant une femme. C’est avec le célèbre Enlèvement des Sabines de Poussin, exposé dans le chapitre « Héros », que l’on trouve une forme proche de cette violence érotique.

Ailleurs, « Voyeur » est un thème vaste et très – trop ? – ambitieux. La série de Degas qui traite de la maison close, intitulée « La fête de la patronne » (1878-1879), a inspiré la série de 39 gravures de Picasso où Degas apparaît comme le client d’un bordel, qu’on aurait aimé avoir plus largement exposée. La différence est parlante. Se tenant à distance, Degas reste totalement immobile, dans l’impossibilité d’une confrontation directe avec le nu féminin. Chez Picasso, en revanche, la pulsion scopique ne s’arrête pas à l’entrée de L’Origine du monde. Le corps du peintre est autant en cause que celui du modèle, le pouvoir de la peinture que celui du sexe.

Terminons toutefois avec « Atelier », un thème quasi universel dans la peinture. Pour ce grand final, les commissaires ont réuni, d’une part, un imposant « iconostase », soit un ensemble de soixante-six eaux-fortes illustrant La Célestine, une tragicomédie espagnole du XVe siècle, le tout sur une immense feuille de cuivre. Pas moins impressionnants sont les murs tapissés de centaines de documents provenant des différents ateliers de Picasso. Le maître, sans doute, s’y retrouvait. On se demande si le spectateur, lui, réussirait le même exploit.

Picasso Iconophage,
jusqu’au 15 septembre, Musée national Picasso-Paris, 5, rue de Thorigny, 75003 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°637 du 5 juillet 2024, avec le titre suivant : Picasso, ce mangeur d’images

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