À Saint-Étienne, « l’Énigme autodidacte » se place à rebours de la conception fantasmée du génie créateur qui s’est fait tout seul, pour démystifier et déconstruire la notion d’autodidaxie.
« Pour résoudre l’énigme autodidacte, il faudrait d’abord dépasser l’aporie de l’individu génial au talent inné dont nous avons hérité du romantisme et qui structure toujours la plupart de nos représentations et de nos discours », écrit la commissaire Charlotte Laubard dans le catalogue, remarquable prolongement des réflexions de l’exposition. Structurée en six sections thématiques correspondant à différentes facettes de l’autodidaxie, « L’Énigme autodidacte » tisse un savoureux réseau d’échos en rassemblant les œuvres d’une quarantaine d’artistes, de stars de l’art contemporain (Maurizio Cattelan, Sophie Calle, Seydou Keïta…) mais aussi de figures plus méconnues (Gianni Piacentino, Emma Kunz, Palanc…).
Pour penser ce vaste panorama, il a fallu déterminer des limites. Géographiques, d’abord : une zone limitrophe assez restreinte, et quelque peu floue, mettant de côté le versant américain – à l’exception de l’inévitable Henry Darger. Temporelles, ensuite : depuis le « moment de rupture que constitue l’avènement de l’art contemporain à partir des années 1950 et durant les années 1960-1970 » (Aurélie Voltz, directrice du MAMC+), jusqu’à des œuvres très récentes, employant des outils numériques pour repenser la notion d’apprentissage – on retiendra notamment Soul Shift, vidéo de Justine Emard mettant en scène deux robots apprenants, qui conclut magnifiquement l’exposition. Pour dépasser les catégorisations établies séparant « l’art “moderne” et “contemporain” de créations “populaires”, “brutes”, “outsider”, “self taught” » (Charlotte Laubard) et s’intéresser à la reconnaissance institutionnelle de ces pratiques, quelques jalons sont indispensables. Ainsi, l’année 1972 marque un tournant, avec la donation de la collection d’art brut de Jean Dubuffet à la Ville de Lausanne ainsi que la Documenta 5 de Cassel, et notamment la section « Mythologies individuelles », pensée par le commissaire Harald Szeemann, à laquelle la cinquième partie de l’exposition, « Autofictions », fait explicitement référence. « Les Magiciens de la terre », présentée au Centre Pompidou en 1989 par Jean-Hubert Martin, marque quant à elle une avancée en termes d’inclusion d’artistes venant de sphères culturelles extra-occidentales dans une institution française.
Une des grandes forces de l’exposition est la scénographie ouverte, qui permet de tisser des liens entre des pratiques très diverses et de véhiculer efficacement, et simplement, le parti pris analytique adopté. Un véritable effort de mise en contexte et d’apport critique est également à souligner. Ainsi, chaque artiste, présenté par un long texte, a un espace dédié rassemblant un ensemble d’œuvres représentatif du moment charnière où sa pratique d’amateur, outsider, accède à une certaine reconnaissance. Il s’agit en effet, pour Charlotte Laubard, de situer « ces intentions, processus et gestes autodidactes qui portent – consciemment, intuitivement ou inconsciemment – à innover sur le plan esthétique et à obtenir, parfois rétrospectivement, une place de choix dans l’histoire de l’art ». Une exposition remarquable, qui fera date, à n’en pas douter.
Georges Adéagbo, Horst Ademeit, Raymonde Arcier, Marcel Bascoulard, Ben, Adelhyd van Bender, Guillaume Bijl, Irma Blank, Alighiero Boetti, Christian Boltanski, Marcel Broodthaers, Frédéric Bruly-Bouabré, Sophie Calle, Maurizio Cattelan, Ferdinand Cheval, Roberto Cuoghi, Henry Darger, Justine Emard, Robert Filliou, Richard Greaves, Chauncey Hare, Seydou Keïta, Bodys Isek Kingelez, Yves Klein, Emma Kunz, Jean Le Gac, Gianni Motti, Tania Mouraud, Arnold Odermatt, Francis Palanc, Présence Panchounette, Gianni Piacentino, Carol Rama, Jean-Pierre Raynaud, Carole Roussopoulos, Jean-Michel Sanejouand, Judith Scott, Ceija Stojka, Miroslav Tichý, Jeanne Tripier, Wendy Vainity, Galaxia Wang, George Widener, Adolf Wölfli.
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Percer les mystères de l’autodidaxie
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Abonnez-vous dès 1 €Musée d’art moderne et contemporain Saint-Étienne Métropole, rue Fernand-Léger, Saint-Priest-en-Jarez (42), www.mamc.saint-etienne.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°750 du 1 janvier 2022, avec le titre suivant : Percer les mystères de l’autodidaxie