Le LaM propose une riche lecture croisée de ces deux courants artistiques du XXe siècle.
Villeneuve d’Ascq. Sous un titre énigmatique « Chercher l’or du temps », foisonnante et complexe, l’exposition du Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut (LaM) est ambitieuse. À l’aide de quatre cents œuvres, elle cherche à illustrer la volonté des surréalistes de « redéfinir en profondeur les catégories esthétiques en s’affranchissant des classifications et en regardant, avec un même émerveillement, objets naturels, œuvres d’artistes et d’anonymes ». Idéalement, le visiteur devrait scruter les œuvres avant de se rassurer en regardant les cartels.
L’effet de surprise est garanti quand on constate, par exemple, que la sculpture de Karl Genzel, Le Diable (1921) qui était incluse dans la célèbre collection d’art brut de Hanz Prinzhorn est la source d’inspiration de L’Imbécile de Max Ernst (1961). D’ailleurs, c’est l’ouvrage de ce psychiatre autrichien Expressions de la folie (1922), un recueil de travaux dessinés par ses patients, qui a eu un impact déterminant sur les surréalistes. La perte des repères est d’autant plus spectaculaire face aux œuvres réalisées par des anonymes qui n’offrent aucune garantie artistique officiellement reconnue. Ajoutons que le LaM, qui possède une impressionnante collection d’art brut, dirigée par Savine Faupin, ici commissaire avec Christophe Boulanger, attaché de conservation de l’art brut et Jeanne-Bathilde Lacourt, chargée de l’art moderne, est l’endroit idéal pour cette expérience.
Chronologique, le parcours propose différentes entrées thématiques : le rêve, la folie et, moins connues, les figures d’exil-objets frontières, ou un almanach pour l’art brut – un projet non abouti entrepris par Jean Dubuffet et André Breton. Les panneaux pédagogiques permettent de saisir l’idée générale qui réunit les œuvres dans chaque chapitre. Mais, si Breton et Dubuffet restent les deux protagonistes qui, malgré des visions parfois différentes, s’emploient à introduire l’irrationnel, voire la folie, dans le champ artistique, le visiteur a parfois du mal à suivre tous les personnages qui jouent chacun un rôle dans cette entreprise intellectuelle. On conseille ainsi de se référer au catalogue, un véritable outil de recherche, qui offre des analyses fouillées de tous les aspects de cet art sans frontières.
Le mérite de l’exposition est d’attirer l’attention du visiteur sur la proximité stylistique entre la production plastique moderne « reconnue » et celle qui relève des travaux des autodidactes ou des malades mentaux – stylisation, déformation, refus de la représentation d’un espace classique, gestualité libre, « vitalisme ». Cependant, tout laisse à penser que quand Breton y voit une forme d’expression authentique, libérée de toute entrave, la souffrance et le mutisme de ces artistes singuliers sont oubliés au profit d’une présumée capacité visionnaire.
En réalité, la création artistique et la folie forment un couple ambigu : un rien les sépare et tout les oppose. Le geste d’un artiste, même surréaliste, se laisse voguer par choix ; la perte de contrôle reste maîtrisée ou inscrite dans une durée déterminée. En dernière instance, avant de s’embarquer sur un bateau ivre, l’artiste vérifie bien qu’il possède son billet de retour. Le créateur aliéné, lui, n’a pas le luxe de l’alternative. Son univers est celui sans paradoxe, où l’imaginaire ne se distingue pas du réel.
L’exposition réunie des œuvres de Jean Arp, Baya, Denise Bellon, Victor Brauner, André Breton, Claude Cahun, Aloïse Corbaz, Fleury Joseph Crépin, Salvador Dalí, Jean Dubuffet, Max Ernst, Auguste Forestier, Slavko Kopac, André Masson, Joan Miró, Elise Müller, Man Ray, Marguerite Sirvins ou encore Adolf Wölfli.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°602 du 6 janvier 2023, avec le titre suivant : L’art brut au prisme du surréalisme