Très connu aux États-Unis, le peintre et illustrateur bénéficie de sa première exposition monographique en France, au Mémorial de Caen.
Caen (Calvados). On aurait pu croire que le peintre le plus populaire des États-Unis était Edward Hopper (1882-1967). Ses représentations de motels, pompes à essence, bureaux, rues ensoleillées et vides de villes anonymes et un peu somnolentes, sont devenues des symboles de l’ «American way of life ».
Pourtant, un autre artiste semble « coller » encore mieux à la réalité de l’Amérique. Il s’agit de Norman Rockwell (1894-1978) dont le Mémorial de Caen présente la première monographie en France, en partenariat avec le Norman Rockwell Museum (Stockbridge, Massachusetts).
La programmation de l’exposition simultanément au 75e anniversaire du Débarquement et de la bataille de Normandie n’a rien d’anodin. Les commissaires savent qu’ils peuvent compter sur la curiosité des visiteurs qui traversent l’Atlantique à cette occasion, enclins à retrouver leur célèbre compatriote vu par la France. Cependant, la surprise vient de l’engouement des groupes scolaires qui se pressent pour voir cette manifestation. Est-ce l’effet de la chanson d’Eddy Mitchell Un portrait de Norman Rockwell (1996), ou, plus probablement, la conséquence des nombreux livres pour enfants illustrés par l’artiste, entre autres Tom Sawyer et Les Aventures de Huckleberry Finn de Mark Twain ? La carrière de Rockwell semble liée avant tout aux illustrations des couvertures du magazine Saturday Evening Post de Philadelphie avec lequel il collabore pendant quarante-sept ans. Le tirage important de ce journal a permis en effet de diffuser à grande échelle ces images qui mettent en scène la société américaine avec une empathie extrême, assurant à leur auteur une notoriété extraordinaire.
L’exposition, sur deux niveaux, se concentre sur deux périodes essentielles de Rockwell, les années 1940, avant et pendant la guerre, et les années 1960. Elle a réussi l’exploit de faire venir l’œuvre la plus importante de l’artiste, Les Quatre Libertés (1943), qui quitte pour la première fois les États-Unis grâce aux efforts de Stéphane Grimaldi, directeur du Mémorial. Composée de quatre toiles, l’œuvre est inspirée par un discours du président Roosevelt, qui exalte les quatre libertés fondamentales de son pays – liberté d’expression, liberté de conscience, liberté de vivre à l’abri du besoin, liberté d’être protégé – que l’ordre tyrannique nazi menace. Candides, frôlant le pathos, les images de Rockwell sont toutefois traversées par un souffle extraordinaire qui leur donne leur puissance. On trouve la même qualité, et les mêmes défauts, dans les œuvres plus tardives de Rockwell, celles où l’artiste dénonce courageusement la ségrégation raciale, comme dans The Problem We All Live With, 1963 [voir ill.]. On y voit Ruby Bridges, la première enfant afro-américaine à intégrer une école réservée aux Blancs à La Nouvelle-Orléans. Entourée d’agents fédéraux, la fillette, vêtue d’une robe blanche, avance d’un pas déterminé vers son nouveau destin.
Cependant, les meilleures œuvres de cet artiste, dont la peinture reste classique, pointent les lieux communs de l’Amérique profonde. Ces scènes de genre, tels un repas copieux de Thanksgiving pris en famille, une mère qui met ses enfants au lit, présentent une vision certes idéalisée de la société, mais toujours empreinte d’une grâce tendre et d’un humour bienveillant. On songe aux films de Capra, en moins sophistiqué. Ce n’est certainement pas un hasard si le premier emploi de Rockwell était rédacteur en chef d’un journal pour les scouts.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°527 du 5 juillet 2019, avec le titre suivant : Norman Rockwell ou l’Amérique profonde