Le dialogue imaginé au Musée d’Orsay entre une jeune artiste et les Nabis entrelace récits de l’intime et regard féministe.
Paris. « En matière de sujet, il n’y a pas un musée au monde qui m’ait plus influencée que le Musée d’Orsay », affirme Nathanaëlle Herbelin, la plus jeune artiste ayant jamais exposé dans l’institution parisienne. Lorsque les commissaires de l’exposition (Christophe Leribault, ancien président du musée, et Nicolas Gausserand, son conseiller pour l’art contemporain) lui ont parlé du projet, elle a d’abord pensé que la « police du style » venait lui « demander des explications » pour tout ce qu’elle aurait « volé » à ses prédécesseurs, notamment les Nabis. C’est en effet en dialogue avec ces peintres postimpressionnistes qu’ils ont choisi de construire l’exposition.
Née en 1989 en Israël, Nathanaëlle Herbelin étudie aux Beaux-Arts de Paris, dont elle sort diplômée en 2016. Aux côtés, entre autres, de Christine Safa, Simon Martin, Madeleine Roger-Lacan ou encore Jean Claracq, elle fait partie d’un groupe d’artistes – et amis – qui incarnent le renouveau de la peinture figurative dans la scène artistique française contemporaine.
Nathanaëlle Herbelin peint des intérieurs et des scènes de genre réactualisées qui subliment la banalité du quotidien. Elle confie avoir un « goût pour le récit “subjectif” », c’est-à-dire qu’elle part toujours du réel, de ce qui l’entoure, mais c’est à travers son interprétation qu’elle retranscrit des histoires, qui prennent alors « souvent la forme d’un conte, et tendent vers l’universel, l’atemporel ». En effet, si elle peint presque exclusivement ses proches – sa sœur, son mari, ses amis ou ses voisins –, l’identité des personnages est dépassée par les émotions communément partagées transmises par ses toiles – une « capacité à susciter l’empathie par la peinture » pour reprendre les termes Jean Claracq.
Le choix des commissaires de rapprocher les toiles de l’artiste avec celles des Nabis est audacieux. Le dialogue fonctionne plutôt bien, grâce notamment à un accrochage savamment pensé qui vise à éviter les confrontations : les toiles de la jeune artiste ne sont pas présentées directement aux côtés de celles de ses maîtres, mais sur des murs séparés. Les échos se créent donc d’un côté à l’autre de la pièce, et les dialogues plus directs prennent place dans les coins. Ainsi, au Nu accroupi au tub peint par Pierre Bonnard en 1918 répond Pince à épiler, représentant une femme les jambes écartées en train de s’épiler le maillot dans une salle de bains. Ce face-à-face témoigne d’une interprétation possible de certaines toiles comme « une réponse au “male gaze” du XIXe siècle par un “female gaze” novateur en peinture », tel que le formule le texte d’introduction.
Le titre de l’exposition, « Être ici est une splendeur », est emprunté à celui de la biographie que l’autrice Marie Darrieussecq a consacré à Paula Modersohn-Becker (1876-1907). En 1906, c’est la première femme à se peindre nue et enceinte, alors qu’elle ne l’était pas à ce moment-là – mais le deviendra l’année suivante. Pendant la lecture de ce livre, et alors « obsédée par la maternité », Nathanaëlle Herbelin décide de rendre hommage à la peintre allemande et se peint à son tour, nue et enceinte dans la salle de bains. Coïncidence ou preuve de la « force médiumnique de la peinture » que revendique l’artiste, son vœu se réalise car elle tombe enceinte deux mois après avoir achevé cette toile. Le pouvoir incantatoire qu’elle confère à la peinture n’est pas sans rappeler la dimension spirituelle au cœur du mouvement nabi, dont le nom même veut dire « prophète » en hébreu. C’est d’ailleurs ce que met en lumière le mur qui conclut l’exposition. Intitulé « Constellation », il présente un dialogue entre des toiles de petit format de l’artiste, tels des ex-voto, et d’autres réalisées par les Nabis.
Le seul écueil que l’exposition n’a pas évité est de proposer une lecture réductrice du travail de Nathanaëlle Herbelin, qui est ici associé à une réactualisation de la peinture nabi – ce qu’insinue notamment le texte d’introduction qui parle de « scènes de genre remises au goût du jour ». Heureusement, le livret d’exposition propose une lecture plurielle et sensible des toiles de l’artiste. Chacune (ou presque) des œuvres est ainsi accompagnée d’un texte écrit par des personnes invitées : un poème du mari de l’artiste, des commentaires ou analyses de commissaires, d’historiens ou de critiques d’art, ou encore des récits de proches, parfois ceux représentés sur les toiles et qui se remémorent le moment.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°634 du 24 mai 2024, avec le titre suivant : Nathanaëlle Herbelin en conversation avec les Nabis