Devenus aujourd’hui le symbole de l’aboutissement des recherches de Claude Monet, les Nymphéas ne furent pourtant pas toujours considérés comme tel.
Inaugurés en grande pompe en mai 1927, six mois après le décès du peintre, le cycle décoratif de l’Orangerie offert par le maître à la France au lendemain de la « Victoire » de 1918, ne trouve pas d’accueil favorable auprès de la critique. Le catalogue de l’actuelle exposition de l’Orangerie rappelle combien le milieu et le public furent hostiles au dernier Monet, qualifié de « vieillard ». L’historien Lionello Venturi parle à l’époque de « la plus grave erreur artistique commise par Monet », quand d’autres n’y voient qu’un décor de « cabines-salons des paquebots ». Pour leur faire enfin une place dans l’histoire de l’art, il faudra donc attendre que la génération « d’expressionnistes abstraits » américains s’intéresse aux Nymphéas. En 1952, Ellsworth Kelly, en voyage en France dans le cadre du « G.I. Bill », découvre le cycle décoratif et peintson Tableau vert,œuvre charnière dans la production du peintre. Trois ans plus tard, de Kooning – Elaine et non Willem – définit le concept d’« impressionnisme abstrait » peu avant que Greenberg n’inscrive la généalogie de l’abstraction américaine du côté de l’impressionnisme davantage que du cubisme. Dans la foulée, le MoMA acquiert un panneau des Nymphéas resté à Giverny… Cette histoire est aujourd’hui racontée par le Musée de l’Orangerie, qui montre l’influence décisive du Français sur l’abstraction outre-Atlantique. L’accrochage s’ouvre avec un tableau de Barnett Newman, qui fut le premier à sensibiliser le directeur du MoMA à l’acquisition d’un Monet. Les confrontations s’enchaînent ensuite avec Monet : Pollock et Rothko, bien sûr, mais aussi Clyfford Still, Morris Louis, Tobey, Guston… Les œuvres sont peu nombreuses mais toutes bien choisies, comme en témoigne la présence de superbes toiles d’Helen Frankenthaler et de Joan Mitchell, deux artistes femmes souvent écartées de l’aventure de l’art américain, qui se révèlent essentielles à la démonstration de l’Orangerie.
Musée de l’Orangerie, jardin des Tuileries, Paris-1er, www.musee-orangerie.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°714 du 1 juillet 2018, avec le titre suivant : Monet, père de l’expressionnisme abstrait américain