Le Musée de l’Orangerie fait entrer en résonance des œuvres tardives du peintre avec celles des expressionnistes abstraits.
Paris. Claude Monet ou un expressionniste abstrait ? Face à la toile, en nuances de couleurs vibrantes qui oscillent entre le bleu et le vert, l’œil hésite. Ce n’est que la taille réduite de cette œuvre, située à l’entrée de l’exposition, qui persuade qu’il ne s’agit pas des Nymphéas. Le cartel « Tableau vert, 1952, Ellsworth Kelly » le confirme. Il n’est pas impossible qu’au vu de ce miracle chromatique, plus d’un spectateur puisse avoir un regret quant au choix de Kelly de devenir l’un des chefs de file de l’art minimaliste, connu pour ses monochromes froids, quasi-industriels.
L’artiste américain fait partie de ceux qui ont découvert la dernière période de Monet dans les années 1950. Pour certains, c’est à Paris. D’autres, Clyfford Still, Philip Guston, Morris Louis ou Jackson Pollock, bref les expressionnistes abstraits, deviendront familiers avec le peintre français grâce aux toiles acquises par le MoMA. Après Les Peupliers à Giverny (1887), acheté en 1953, un très grand panneau des Nymphéas (2 mètres sur 5,65 mètres) entre dans les collections en 1955. Heureusement, car l’accueil de la dernière période de Monet, dont la partie la plus remarquable a pris place depuis 1927 dans ce temple aquatique qu’est l’Orangerie, est loin d’être enthousiaste. Il est vrai que face à l’importance que prend alors l’abstraction géométrique, le traitement gestuel de Monet, que l’on compare au « barbouillage », se situe à l’écart de la modernité en vogue.
Grâce à un accrochage exemplaire, l’exposition montre qu’il fallut attendre les peintres américains de l’après-guerre pour trouver un hommage appuyé à l’aspect all over qui caractérise la dernière série de Monet. Chez lui, en effet, l’horizontal devient vertical, la ligne d’horizon s’efface, le ciel disparaît et il n’y a plus ni lointain ni premier plan.
De même, Rothko et ses configurations amorphes et flottantes ou Joan Mitchell, dont la peinture, fluide, transparente, semble pratiquement couler sur la surface, ne sont pas loin de la lumière et de la matière liquéfiée de Monet. Moins connus en France sont Philip Guston et surtout Helen Frankenthaler. Le Painting (1954) du premier présente un essaim de bâtonnets rouges qui se croisent sous une ligne d’horizon maritime ; avec Milkwood Arcade (1963) de Frankenthaler, les couleurs stratifiées sont transparentes et se fondent presque imperceptiblement les unes dans les autres.
Moins évident est le lien entre Monet et la splendide toile de Mark Tobey (White Journey, 1956) qui s’intéresse plutôt aux signes. Il en va de même de Pollock, dont une œuvre comme Sans titre (1949), réalisée à partir d’une grande énergie gestuelle, dégage une tension extraordinaire, à l’opposé des gestes dilués et de la « mollesse » impressionniste.
On termine par une petite toile de Barnett Newman, The Beginning (Le Début), 1946, placée à côté des Nymphéas. Ce qui était pour Monet la fin du chemin est pour Newman un nouveau départ. Lui, comme la plupart des expressionnistes abstraits, aboutit, pour citer l’influent critique américain Clement Greenberg, à « un genre du tableau qui fait apparemment l’économie de tout commencement, milieu ou fin ». (Partisian Review, 1948).
jusqu’au 20 août, Musée de l’Orangerie, jardin des Tuileries, 75001 Paris.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°504 du 22 juin 2018, avec le titre suivant : Le legs de Claude Monet à l’art abstrait