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L’objet devient politique à la Vieille Charité

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 26 août 2022 - 620 mots

MARSEILLE

L’helléniste Barbara Cassin, commissaire de l’exposition, s’est intéressée à la migration des objets. Un propos, dans le contexte géopolitique actuel, particulièrement engagé.

Marseille. Ulysse poussé par le souffle de Borée, debout sur un radeau d’amphores [voir ill.]. C’est sur cette céramique béotienne à figures noires du IVe siècle avant notre ère, prêtée par l’Ashmolean Museum d’Oxford (Grande-Bretagne), que s’ouvre l’exposition « Objets migrateurs ». La pièce est d’emblée mise en regard avec un « éco-boat », une embarcation faite de bouteilles en plastique recyclées que l’on trouve de nos jours au Cameroun. Le propos est annoncé d’entrée, décloisonnant les objets de différentes époques pour porter un discours sur la migration. Et qui mieux que le héros de l’Iliade pour incarner ce message ? Dans cette première salle, une carte du périple odysséen jouxte celle des opérations de Frontex – l’agence européenne qui repousse les flux migratoires sur la rive sud de la Méditerranée – dont les noms sont pudiquement inspirés de la mythologie grecque.

« C’est une exposition politique, assume la commissaire Barbara Cassin, helléniste et académicienne. Le parcours dédiabolise l’idée de migration : on a toujours migré, les hommes comme les objets. » Et particulièrement les objets artistiques et historiques. Le processus de conservation et de muséalisation fournit une image de ces objets figée dans le temps et dans les collections : à la Vieille Charité, il s’agit au contraire de montrer, derrière l’effort scientifique de conservation, le parcours des artefacts. Devant la stèle mortuaire gallo-romaine d’un enfant, le visiteur est ainsi invité à porter son attention sur ce qu’il ne remarquerait pas d’ordinaire, un large tampon rouge qui signale l’entrée de l’objet dans les collections des musées marseillais.

Dernière station connue du voyage de ces objets, l’arrivée dans le musée occasionne des modifications, reconstitutions, restaurations, mutilations. Il s’agit d’intégrer une pièce qui a déjà vécu mille vies à un discours établi, souvent scientifique, parfois politique. Le principe des biographies d’objets, décliné le long du parcours, permet de retracer la vie de l’objet avant sa mise « à l’arrêt ». On comprend ainsi que la plupart des objets ont une nature instable : « Zeus ou Ammon ? », interroge l’affiche de l’exposition. Le beau buste de divinité de la période ptoléméenne représente sûrement les deux à la fois, les contacts entre cultures égyptienne et grecque ayant brouillé les frontières entre leurs panthéons.

Une exposition « participative »

En phase avec l’actualité du rapport Sarr-Savoy (sur la restitution du patrimoine culturel africain) et des décrets portant sur la restitution des objets volés par les nazis, l’exposition traite aussi de la mobilité retrouvée de ces pièces. Devenues des objets européens, pour les artefacts issus du colonialisme, et des objets de musée, pour les œuvres volées dans les collections juives privées, ces pièces nécessitent un travail de longue haleine pour redevenir des pièces africaines, ou retrouver le chemin de leurs ayants droit. La traduction scénographique du très riche discours de l’exposition pêche parfois, s’éparpillant dans plusieurs salles de la Vieille Charité, et entremêlant des commentaires de différente nature entre cartels classiques, biographies d’objet et cartels poétiques.

Mais l’intérêt du parcours réside entre autres dans la découverte d’initiatives sociales et culturelles, en lien direct avec le propos développé : une œuvre d’art commandée par les Nouveaux Commanditaires, en l’occurrence des lycéens qui ont travaillé durant deux ans avec l’artiste Marianne Mispelaëre ; une présentation des « muséo-banques », dispositif qui permet aux migrants de présenter par l’objet un projet entrepreneurial ; une installation où les visiteurs sont invités à enregistrer une histoire d’objets qui leur est propre… « Oui, c’est quelque chose comme une exposition participative », résume Barbara Cassin. Pour l’académicienne, c’est aussi une plateforme permettant de diffuser les activités et les principes d’accueil et d’intégration portés par l’association qu’elle anime, Maisons de la sagesse - Traduire.

Objets migrateurs, trésors sous influence,
jusqu’au 18 octobre, La Vieille Charité, 2, rue de La Charité, 13002 Marseille.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°593 du 8 juillet 2022, avec le titre suivant : L’objet devient politique à la Vieille Charité

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