Bordeaux commémore le cinquantenaire de la disparition de l’artiste en retraçant son parcours singulier, marqué par le passage dans l’après-guerre vers l’abstraction lyrique, plus intéressant que sa période figurative.
BORDEAUX - Suivez le guide. En entrant dans la galerie du Musée des beaux-arts de Bordeaux, descendez directement un étage plus bas, là où se déploie toute la magie de la peinture de Roger Bissière (1886-1964). Vous aurez tout le temps de remonter plus tard pour découvrir le trajet complet de cet artiste dont la partie figurative, inspirée du cubisme ou néoprimitive, demeure, pour le moins, insipide. En comparant ces deux parties de l’œuvre, on se demande quelle mouche a piqué le musée pour qu’il décide d’accorder une place aussi importante à la représentation de la figure humaine chez Bissière. Certes, le peintre disait qu’il voulait qu’on trouve l’homme derrière la toile qu’il a peinte. Une belle métaphore, mais en réalité c’est quand l’homme s’efface de ses toiles que sa véritable peinture remonte à la surface. Ainsi, déjà avec Paysage (1927-1928), les silhouettes se diluent et se transforment en « flaques d’être » (Jean Clay) qui apparaissent.
La transformation définitive n’est pas facile et ce n’est pas un simple hasard si Bissière arrête sa peinture pendant quelques années, comme s’il lui fallait une véritable coupure pour changer de registre. De même, quand il s’engage avec sa femme dans la réalisation d’une série de teintures murales – faites avec des fragments cousus de vieux chiffons multicolores –, on y distingue clairement une véritable expérimentation sur la décomposition de la forme et sur l’introduction des signes dans son œuvre (1945). Tout laisse à penser que pour modifier son approche picturale, Bissière avait besoin de pratiquer une discipline où le motif non figuratif retrouvait ses droits. Remarquons d’ailleurs l’intérêt de l’artiste pour toutes les techniques « composites », faites à partir d’éléments qu’on agrège (tapisserie, vitraux et surtout la mosaïque qu’il enseigne pendant des années).
Un univers de signes
À partir de 1947, Bissière invente un nouveau vocabulaire à l’aide d’un abécédaire secret. Face à cette calligraphie, l’œil est tiraillé entre familiarité et incertitude. La nature y est convertie en un jardin pictural essaimé de touches colorées, des fragments linéaires, des tracés et des inscriptions qui s’associent pour former des pictogrammes, évoquant parfois les travaux de Paul Klee ; curieusement, non seulement Bissière s’intéresse à la tapisserie comme Klee, mais il effectue également une visite rapide au Maghreb, en Algérie. Ses œuvres semblent chercher à capter les différentes variations de la lumière, au rythme des saisons, déclinée à l’aide de tons nuancés à l’infini (parfois le titre indique sa source d’inspiration réelle ou imaginaire : Équinoxe d’hiver, Soleil levant…) Variations, car les toiles de Bissière dégagent une sensation de musicalité étonnante, preuve s’il en faut d’une sensibilité aiguë à la gamme chromatique et aux surfaces qui ressemblent souvent aux partitions poétiques (L’Orage est passé, 1960). Variations, comme les différents supports (toile à matelas, bois, bois aggloméré, carton) ou des médiums (peinture à cire, peinture à l’œuf, crayon-feutre), chacun produisant différents effets de brillance ou de matité. Peut-être l’artiste s’emporte légèrement quand il déclare : « le tableau, qu’il soit à l’huile, à l’eau, qu’il soit fait d’étoffes, de ciment ou de la boue des chemins, n’a qu’une signification : la qualité de celui qui l’a créé et la poésie qu’il porte en lui ». Le parcours s’achève sur une note intime émouvante : « Le Journal en images », de petits panneaux que Bissière réalise vers la fin de sa vie et après la mort de sa femme. A-t-il songé à Picasso qui a déclaré : « L’œuvre qu’on fait est une façon de tenir son journal » ?
L’histoire de l’art tient également son journal. Après la Seconde Guerre mondiale, Bissière fera partie de ce qu’on appellera l’abstraction lyrique ou la seconde école de Paris, devenant une des figures tutélaires de la peinture française. Sa carrière s’achève en 1964 quand il représente la France à la 22e édition de la Biennale de Venise, remportant une mention d’honneur en raison « de l’importance historique et artistique de son œuvre ». La même Biennale qui consacre l’œuvre de Robert Rauschenberg. On connaît la suite de l’histoire.
Nombre d’œuvres : 100
Commissaires : Sophie Barthélémy et Isabelle Bissière
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Les deux versants de Roger Bissière
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Abonnez-vous dès 1 €Bissière. Figure à part, jusqu’au 15 février, Galerie des Beaux-Arts, Place du colonel Raynal, 33000 Bordeaux, tél 05 56 96 51 60, www.musba-bordeaux.fr, tlj sauf mardi 11-18h, entrée 6,50 €.
Légende photo
Roger Bissière, Equinoxe d'hiver, 1957, huile sur toile à matelas, 130 x 162 cm, collection particulière. © Roger Bissière.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°428 du 30 janvier 2015, avec le titre suivant : Les deux versants de Roger Bissière